27 Août 2016
Les excès : La dangerosité pour soi.
Certains fans - il s'agit bien sûr de cas extrêmes - peuvent adopter des conduites dangereuses pour leur intégrité physique et morale et parfois payer de leur vie une passion excessive et sans limite.
Le refus de vivre sans la vedette et le désir de la suivre dans la mort illustrent de façon exemplaire le caracètre parfois fatal de la passion absolue.
Les exemples ne manquent pas ! par exemple, en 1980, la mort de John Lennon est immédiatement suivie du suicide de deux de ses fans : Une adolescente de seize ans (Colleen Costello) fait une overdose de médicaments et un homme de trente ans ( Michael Craig) se tire une balle dans la bouche. Plus récemment, la disparition du chanteur de Nirvana, Kurt Cobain, est également à l'origine de suicides de fans. A Somain, dans le Nord, Valentine et Aurélie, douze et treize ans se tirent une balle de 22 long Rifle dans la tête, laissant pour tout message un texte de Cobain, qui s'est lui-même suicidé le 8 avril 1994. Des écrits et pages de cahiers appartenant aux deux adolescentes semblent valider l'hypothèse d'une «fascination amoureuse» et d'un acte motivé par un «phénomène de mimétisme». A la fin de l'année 1994, deux adolescents canadiens se suicident après une longue errance dans le Nord Ouest américain. Un troisième saute d'un pont à Montréal en écoutant Nirvana. A Seattle, la crainte d'une vague de suicides chez les fans du chanteur conduit à la mise en place d'une importante campagne de prévention à destination des plus jeunes. Selon une journaliste de Libération, Cobain détriendrait un triste record à titre posthume : «celui d'être l'incitation au suicide la plus activement fascinante pour un certain monde adolescent tenté de rejoindre comme lui le Nirvana ».
Un douzaine de fans se suicident après la mort de Michael Jackson et on dénombre jusqu'à une centaine de tentatives. Le révérend Jesse Jackson, dans un sermon, lance un appel aux fans leur demandant de ne pas s'autodétruire.
Le jugement savant...(le fan comme aliéné, dépossédé et symptômes)
Si dans les faits, certains fans peuvent se livrer à des formes d'exaction et développer des pathologies mentales qui les rendent dangereux ou menaçants, il reste que les fans sont souvent victimes de discours et repésentations davantage que de leurs propres agissements. C'est ce qu'observe Nathalie Heinich (2012) qui témoigne combien ils sont, eux les objets de leur passion. Dès les années 1920, des experts et psychologues stigmatisent les «tendances pathologiques» des fans des premières stars de cinéma. Heinich rapporte que des psychologues américains ont étudié le rapport à la célébrité et élaboré des «échelles de normalité», mesurant l'«absorption psychologique» ou l'«addiction». Elle observe que la question de l'aliénation est au coeur de nombre de critiques du fan et de son idolâtrie. Celui-ci est perçu comme dépossédé de lui-même par l'industrie culturelle et en proie à l'irrationalité, aux émotions non contrôlées par la raison.
Ces critiques savantes sont anciennes. Philippe Le Guern, dans un état de l'art très documenté, observe que le fan incarne «un certain type de rapport aux industries culturelles et à leur pouvoir de contamination idéologique». Le fan se distingue également par une consommation qui contraste avec la distance et le détachement caractéristique du rapport à la culture de la bourgeoisie. Il acumule, collectionne, thésaurise et consomme avec un sérieux éxagéré des objets peu légitimes, trahissant de façon grotesque le fossé qui le sépare des détenteurs de grande culture. Dépourvu de tout sens de la distance et voué à consommer les produits les moins légitimes de la culture populaire, le fan ressemble à l'archétype du public dominé, résume Le Guern (2009, p.32)
Comme le rappelle Mark Duffett,(2012, p.38) Henry Jenkins (2006) observe ces mêmes stéréotypes sur les fans. Ils sont perçus comme des consommateurs stupides qui achètent tout et n'importe quoi, pourvu que ce soit lié à l'objet de leur passion ; qui consacrent leur existence au développement d'une connaissance sans valeur ( sur ce qui a trait à leur passion) ; qui attribuent une importance inappropriée à un matériel culturel dévalué ; ils sont perçus encore comme des inadaptés sociaux qui développent une obsession pour leur passion telle qu'elle empêche toute autre expérience sociale ; comme des êtres féminisés ou désexualisés du fait de leur engagement dans leur passion ; comme des individus infantiles, émotionnellement et intellectuellement immatures ; des individus incapables de séparer la réalité de l'imaginaire.
Joli Jensen (1992) a proposé une analyse de la littérature savante sur les fans. Hantés par les images de la déviance ( le fan est représenté comme fanatique, excessif, marginal, déséquilibré), ces textes se structurent autour de deux représentations dominantes : celle de l'individu solitaire obsédé et celle du membre d'une foule hystérique. Le premier, complexé et isolé socialement, est engagé dans une relation artificielle et fantasmatique avec la star, tandis que le second, déséquilibré et incontrôlable, est délirant et irrationnel. Qu'il appartienne à l'un ou l'autre de ces modèles-types, le fan, dans ce système de représentation, est le symptôme d'un dysfonctionnement social. Il se perd dans la fixation irrationnelle d'une figure célèbre et dans le délire contagieux de la foule, du fait notamment du déclin des communautés protectrices et identificatrices, et du règne de l'aliénation, de l'atomisation et de la persuasion de masse. Son engagement dans la passion, sa « fanitude» (fandom), est dès lors définie comme une compensation psychologique aux manques inhérents à la vie moderne. La fan asocial, timide, complexé, isolé, rejeté, comble ainsi un manque ( de reconnaissance, d'estime de soi, de lien social) ; mais ce mécanisme de compensation peut se révéler dangereux et conduire à la confusion entre fantasme et réalité, et aux diverses pathologies sociales et psychologiques.