18 Septembre 2018
Il s'immole par le feu pour échapper à ses tortionnaires
Le lundi 3 septembre, des millions d'élèves ont retrouvé le chemin de l'école. Une rentrée que certains d'entre eux, enfants ou adolescents, appréhendent. Ce fut longtemps le cas de JONATHAN DESTIN, cible de moqueries, d'insultes, de coups et d'humiliations.
Jonathan est encore en primaire lorsqu'il est victime pour la première fois de harcèlement. Ce sont d'abord des moqueries autour de son nom de famille :
C'est ton destin d'être nul. C'est ton destin d'être gros - Puis viennent les insultes, du matin au soir : T'es un con ! - gros porc ! -
A force de l'entendre, ça me faisait mal, se souvient Jonathan.
Et aux mots succèdent les bousculades et les coups. La première fois, c'est un groupe de quatre garçons qui fond sur Jonathan sans lui laisser la moindre chance.
Ils me frappaient sur la tête, dans les jambes, avec leurs mains, leurs pieds. J'ai eu des bleus partout tellement j'avais reçu de coups de pied, j'ai pleuré...raconte Jonathan.
Les adultes n'ont rien vu, rien entendu ...
Hélas, à son entrée au collège, le calvaire continue, s'intensifie même. A tel point que Jonathan reste caché dans les couloirs ou dans une cage d'escalier pour ne pas descendre dans la cour de récréation où, il le sait, ses bourreaux l'attendent pour le tabasser. Comme ce jour où des garçons plus âgés que lui, le coincent contre le mur et lui cognent la tête. Un professeur intervient, mais les tortionnaires de Jonathan soutiennent qu'il est tombé tout seul. Pas de preuves ...
Cet épisode malheureux résume bien la situation : victime de brimades et de violences continues, le collégien ne peut pas compter sur le soutien des adultes. Le corps enseignant ne voit rien, n'entend rien. Quant aux parents de Jonathan, ils se doutent que quelque chose ne va pas chez leur fils, mais ils sont loin d'imaginer ce qu'il vit, en encore moins d'estimer l'ampleur de sa souffrance. Car, plutôt que de se confier à eux, le gamin se renferme sur lui-même.
Je ne voulais pas qu'ils aient honte de moi. Ils m'auraient défendu, c'est sûr, mais je me disais que ce serait encore pire que de prendre des coups. Il fallait que je m'en sorte tout seul. Explique aujourd'hui Jonathan.
Comme si la situation n'était pas assez insupportable, une autre bande, des élèves plus âgés venus d'une autre école, s'attaque à son tour à Jonathan. Aux insultes et aux coups, eux ajoutent le racket. Terrorisé, le collégien leur donne tout son argent jusqu'au jour où, parce qu'il a osé une fois se défendre, ses agresseurs l'attendent avec une arme.
«Demain, tu ramènes cent euros ou on te fait la peau».
Le menacent-ils, le canon pointé sur sa tête.
Et impossible pour Jonathan d'en parler à quelqu'un.
Ils m'avaient dit qu'ils avaient suivi mon père et qu'ils feraient du mal à ma famille, confie-t'il. Il ne voit alors plus qu'une solution : le suicide.
Je ne pouvais plus vivre comme ça. La mort me faisait peur. Je me disais qu'avec toute la douleur que j'endurais depuis plus de deux ans, un feu qui dure quinze minutes, c'était ce qu'il me fallait.
Le 8 février 2011, Jonathan quitte la maison de ses parents, achète une bouteille d'alcool à brûler, la renverse sur ses vêtements, et allume un briquet. Il s'enflamme instantanément mais, contrairement à ce qu'il imaginait, son coeur ne brûle pas en premier. Il souffre terriblement et se jette dans un canal. Là, une femme le voit dériver et parvient à le ramener au bord. Les pompiers arrivent très vite et Jonathan perd conscience. Il tombe dans le coma et ne se réveille que plus de deux mois et demi plus tard, le corps brûlé à 73%, au troisième degré.
SON MESSAGE : IL FAUT EN PARLER.
Plus de sept ans ont passé depuis cette funeste matinée. Jonathan a enduré d'insupportables souffrances pour se reconstruire, psychologiquement et physiquement. Le 19 avril dernier, il a encore subi une greffe de la peau, la vingt et unième, mais aussi la dernière, a-t-il décidé.
Devenu bien malgré lui un symbole des ravages que peut provoquer la harcèlement scolaire, à 18 ans, il écrit un livre pour raconter son calvaire, mais surtout pour inciter d'autres victimes à sortir du silence.
Le harcèlement il faut en parler ! Un enfant peut se confier à une personne de confiance : un ami, un proche, même un professeur ou un surveillant d'école. N'importe qui ! Surtout, il ne faut pas faire ce que j'ai fait. Si un élève veut mourir, il faut qu'il écoute ce que je dis. Ça ne sert à rien de mourir. Quand on meurt, ces sont les autres qui gagnent. Martèle-t-il avec conviction.
Un message bientôt relayé à la télévision, puisque TF1 prépare un téléfilm, Le jour où j'ai brûlé mon coeur, librement adapté du récit de Jonathan. Et même si ce dernier a conscience que son histoire personnelle le poursuivra longtemps, il n'aspire qu'à une chose : mener la vie normale d'un jeune homme de 23 ans.
L'acte de ce jeune garçon doit nous interpeller. Voir un adolescent s'immoler parce que victime de harcèlement scolaire, c'est ignoble et cela démontre à quel point cela peut-être dévastateur et générateur de souffrance. Comme Jonathan, il y a quelques élèves qui tentent de se suicider, mais heureusement, il ne représentent qu'une très petite minorité d'enfants harcelés. Les chiffres officiels indiquent que plus de 700 000 élèves sont confrontés chaque année à ce fléau mais, de mon point de vue, ces chiffres sont extrêmement en dessous de la réalité, dans la mesure où, au collège ou au lycée, les adolescents ne racontent pas la vérité aux adultes. En revanche, ce qui est terrible, c'est que, malgré toutes les opérations de prévention et de sensibilisation, ces chiffres n'ont quasiment pas baissé en dix ans.
Si tout à coup, un enfant devient beaucoup plus agressif et cruel avec ses frères et soeurs, c'est un signe de harcèlement scolaire ou autre, et que les parents mettent cela sur le compte de la fameuse «crise» attribuée à cet âge. Lorsqu'un enfant ne sort plus de chez lui le week-end, se recroqueville sur lui-même, c'est très clairement un autre signe. Enfin, il y a les signes physiologiques du type maux de tête, maux de ventre et vomissements le dimanche soir, le lundi matin au moment d'aller en cours ou lorsque les vacances se terminent.
Il suffit qu'un autre enfant, en quête de pouvoir ou de popularité, s'attaque à un autre, vulnérable à ce moment là, et que ce dernier ne riposte pas, alors, il se dit qu'il tient la bonne cible et il continue. C'est ainsi que le harcèlement se met en place.