26 Novembre 2019
A Guernesey la maison de l'écrivain «Victor Hugo» a rouvert ses portes le 7 avril 2019. Y entrer c'est aussi entrer dans sa tête.
D'abord, il y a le léger choc atmosphérique entre le dehors et le dedans. Dans la petite rue qui monte de Saint Peter Port jusqu'à Hauteville House, tout est blanc, lisse et brillant comme un village anglo-normand rincé par l'orage. Mais derrière la porte du numéro 28, d'un «vert salade voulu par l'écrivain», il fait sombre et gothique, il fait fou, excentrique. À peine un pas dans le vestibule d'entrée et, déjà, Quasimodo, Esmeralda, Phoebus et toute une cour des miracles vous observent du haut d'un porche comme les gargouilles penchées au-dessus du frontispice de Notre-Dame. Il faut garder les yeux levés. D'un côté l'inscription Ave («salut») surplombe la porte à deux vantaux de la salle de billard où amis et autre proscrits fumaient, buvaient, parlaient «à voix haute de tout et à voix basse d'autre chose».
En face, un obscur corridor émaillé d'oeils-de-boeuf et de porcelaines.
Des pots, des plats, des assiettes, partout, sur les murs et au plafond. De part et d'autre de ce «couloir aux faïences», un salon et l'atelier, tapissés du sol au plafond - si bien que l'on pourrait presque les retourner et y marcher à l'envers - flanqués de bahuts monumentaux aux allures de cathédrale ou de temple.
Pas de doute, on est chez Victor Hugo. Sa maison d'exil - Lui et sa famille y ont habité pendant quinze ans, de 1856 à 1870 - vient de rouvrir, rénovée à l'identique, telle que l'écrivain l'avait conçue et décorée, comme un «poème en plusieurs chambres», dixit son fils Charles.
Constatant que la bâtisse, constamment exposée aux vents marins, prenait l'eau, faisant courir un risque aux collections, la mairie de Paris (à qui appartient la maison) a lancé des études en 2016 pour sauver le trésor: 800 000 euros ont été débloqués. Le mécénat de François Pinault, d'un montant de 3.5 millions, a permis d'envisager la restauration totale. Sofas retapissés de tapis turcs, miroirs et boiseries restaurés et tissus retissés à l'identique : il a fallu recourir à ses lettres familiales, à des photos d'archives pour reconstituer le défi qu'il avait ainsi formulé à son ami Jules Janin :
Désormais je serai chez moi, les murs, les planchers et les plafonds seront à moi ; je serai un propriétaire, un landlord, la chose sacrée en Angleterre. (...) Je suis curieux de voir si les pierres anglaises sauront défendre un proscrit français. L'expérience est curieuse et vaut la peine d'être faite. La maison sort tout entière des «Contemplations».
Oui, l'expérience mérite d'être faite. Découvrons, par exemple, la salle à manger et sa spectaculaire cheminée en H - Hauteville ou Hugo ? - couronnée de mille curiosités et d'une statue de Notre-Dame-de-Bon-Secours lovée dans un quatrain. Dès le rez-de-chaussé, on est décoiffés.
Mais l'outre-monde de Victor Hugo ne se contente pas de l'abîme, et, dans l'escalier couvert d'un feutre épais, sous le puits de lumière, le visiteur «monte des ténèbres à l'idéal», comme dans la préface de «La légende des siècles».
Nous voilà au premier étage. Le long de la Tourgue dans le «Quatre-vingt-treize», c'est-à-dire «oblongue et ayant la largeur du pont», où Shakespeare côtoie Homère, Corneille et Dikens, les salons rouge et bleu sont troués de fenêtres à la française, et non à l'anglaise, «à guillotine» - Hugo étant contre la peine de mort - par lesquelles le ciel, les arbres et la mer se déversent.
Des soieries et des velours baroques remplacent les tapisseries et les boiseries, et entre chinoiseries, guéridons incrustés de nacre et un brûle-parfum en bronze offert par Dumas, de drôles de nains de jardin crânent à côté de torchères délicates rapportées, dit-on, du «Bucentaure», la galère du doge de Venise. «Le réel résulte de la combinaison toute naturelle de deux types, le sublime et le grotesque», écrivait Hugo dans «Cromwell».
Plus sa boite - de Pandore - domestique et crânienne se dévoile, plus la tête vous tourne. Baguenaudant au milieu de cette fête étrange, au bord de la poésie et du génie, l'on se croit myope ou complètement ivre ; c'est établi, Hugo a fait le siège de notre esprit, on ne voit plus que lui, Hugo nous a pris.
Et puisque «tout lieu de rêverie est bon, pourvu que le coin soit obscur et que l'horizon soit vaste» (écrivait-il dans «Actes et paroles»), vous poursuivez jusqu'à l'azur l'ascension de son oeuvre architecturale.
Au sommet d'un escalier minuscule semé de miroirs où vous vous regardez en songeant au «Quand je vous parle de moi, je parle de vous. (...) Ah ! insensé, qui croit que je ne suis pas toi !» de la préface des «Contemplations» : la vigie, le bord du vide, l'encielement d'une oeuvre prodigieuse et d'une pensée athlétique, ce qu'il appelait le «look-out».
Voilà la pièce maîtresse de la maison, le cabinet de travail ou s'achèvent «Les misérables», «La légende des siècles» et les plus belles pages de l'histoire politique sur l'abolition de la peine de mort.
Depuis ce poste d'observation bombardé de lumière, on regarde la baie de Havelet en face, peut-être même les côtes de France quand le temps est clair, mais aussi le jardin repensé par le paysagiste Louis Benech, et ce chêne «des États-unis d'Europe», planté là un certain 14 juillet 1870, quelques semaines avant le retour du premier proscrit de France «chez lui».
«Quand la liberté rentrera, je rentrerai», avait annoncé Hugo au lendemain du coup d'État bonapartiste de décembre 1851. C'est chose faite, le 5 septembre 1871, après la défaite de Napoléon «le Petit» à Sedan, le lendemain de la proclamation de la IIIe République, et après dix-huit ans d'exil dont quinze à Guernesey.
On quitte la maison d'Hugo, grisés comme on l'est par l'étroite proximité que l'on a, parfois, avec un grand texte. Hugo n'est pas parti. A Hauteville House, son hold-up mental est total. S'y aventurer est une odysée de l'esprit, c'est «marcher vivant dans un rêve» comme dans «Le livre des tables», lire une «page de grimoire écrite en pierre», comme dans «Notre-Dame de Paris», tandis qu'au dehors, tout est toujours blanc, lisse et brillant.
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Que connaît-on de la personnalité de Victor Hugo ?
En privé, il menait une double vie, avec d'un côté, sa femme et ses enfants, et de l'autre, son histoire avec Juliette Drouet. Il avait aussi d'autres maîtresses. C'était un homme très possessif. Pour preuve, il avait gravé VH avec sa chevalière sur le cercueil de sa femme et ses enfants. Il était bon père de famille, comme il était possible de l'être au XIXe siècle. À la fin de sa vie, il était gâteux avec ses petits-enfants, Georges et Jeanne. Il avait ses faiblesses qu'ont les grands-parents d'aujourd'hui. il a écrit pour eux «L'Art d'être grand-père».
Il a dédié des poèmes à sa femme, sa maîtresse, ses enfants....Quand on lit son journal, «Choses vues», on retrouve de nombreuses reprises ensuite dans ses romans. Il y a toujours une source véritable à ce qu'il écrit. La mort de sa fille Léopoldine, en 1843, l'a beaucoup marqué, d'autant qu'il était en voyage et l'a appris par la presse. Pendant 10 ans, il ne publie plus rien. Il avait beaucoup d'admiration pour sa fille aînée. Son recueil de poésie, «Les Contemplations», se compose de deux parties, Avant et Après, avec au milieu une date charnière: 1843.
Pourquoi était-il et est-il toujours aussi populaire ?
À l'époque, il s'occupait lui-même de sa publicité. En partant en exil à Guernesey, il a fait faire des portraits de lui qu'il disséminait dans toute l'Europe. Il était aussi une référence pour la IIIe République. Pour ses 80 ans, on a rebaptisé Victor Hugo la rue où il habitait. Ce qui est un fait unique dans l'histoire. Et, très vite, ses oeuvres ont été adaptées en opéras, ballets, pièces de théâtre. Aujourd'hui, la comédie musicale «Les Misérables» est encore à l'affiche. Les studios Disney ont repris le Bossu de Notre-Dame [qui était le titre exact de la première traduction américaine du roman] et Luc Plamandon a crée un succès populaire avec la comédie musicale «Notre-Dame-de-Paris».
Victor Hugo est le défenseur de l'homme, soucieux d'une plus grande justice sociale. Ses livres sont peuplés d'exclus, de victimes de la pauvreté ou de l'injustice, dans un univers de conflits (duels, guerres, insurrections...) Ces combats sont le symbole de la lutte entre le Bien et le mal. Parfois, ils peuvent engendrer un progrès, qui élève l'homme. Ses «Misérables» mettent en scène l'enfance malheureuse et exploitée (avec Cosette), la justice implacable (Jean Valjean, les Thénardier, Marius...). Dans ses romans, Hugo est le défenseur des opprimés. Peut-être est-ce pour cette raison que sa littérature est aussi populaire.
Il est une référence littéraire pour de nombreux auteurs. Ses contemporains l'ont à la fois encensé et décrié. Cependant, il n'a pas créé d'école et personne ne se réclame de son influence.