11 Juillet 2016
De quoi est donc fait ce terreau fertile de la gloire ?
L’hypothèse première est qu’il est intiment lié aux vicissitudes de la construction de l’identité et de son noyau centre, le narcissisme.
Celui-ci est une histoire d’amour, de visages et de regards. Amour des parents d’abord. La mère qui nourrit, qui berce, qui contemple. Voilà le premier regard. Celui dans lequel on se voit. Le visage et le regard de la mère sont pour le petit enfant comme un miroir, disait D.W Winnicott. (Donald Woods Winnicott, jeu et réalité, Gallimard, 1975) En d’autres termes, l’enfant se sent exister parce que sa mère le voit et le lui montre. C’est dans ces jeux de regards que se constitue progressivement le sentiment d’être. Ce n’est pas un hasard si l’univers du star système est fait de photos, de papier glacé, de pellicules et d’écrans géants. Il fait intervenir le regard jusqu’à plus soif. Quelques années plus tard, une fois la machine lancée, ces regards et ces visages prennent une telle ampleur que les lunettes noires deviennent l’accessoire indispensable de la panoplie de la vedette !
Le narcissisme, comme beaucoup de concepts psychologiques, a des significations diverses selon les époques et les auteurs. Comme il va en être beaucoup question par la suite, j’éclaire ce terme dès à présent.
Dans la mythologie Grecque, Narcisse est un jeune Béotien célèbre pour sa beauté. Ayant rejeté l’amour de la nymphe Écho, il est puni par Némésis. Rendu amoureux de sa propre image reflétée dans l’eau d’une fontaine, inaccessible, il languit et désespère à en perdre la vie. A l’endroit de sa mort naît une fleur qui portera son nom…
Sigmund Freud introduira le concept de narcissisme dans la théorie de la psychanalyse en 1914, dans un article devenu fameux qui lui donnera ses lettres de noblesse.
Le narcissisme est en quelque sorte la fondation du psychisme. Il est le socle premier permettant à l’enfant de se vivre comme unifié, évoluant dans une continuité, et sur lequel se bâtissent relations et expériences futures. Il est la base de notre sentiment d’identité. Dans son usage psychologique courant, le terme désigne l’estime de soi, l’image suffisamment bonne qu’on a de soi-même, qui détermine la capacité à prendre soin de sa personne et à résister à l’adversité comme aux échecs. Je balaye tout de suite une idée fausse : le narcissisme n’est pas un défaut ou une insulte ! Et il doit être solide si l’on veut faire face efficacement aux évènements de la vie.
Sacha Nacht a théorisé le narcissisme comme étant le « gardien de la vie ». Pour Lou Andreas-Salomé, « c’est un accompagnement durable de toutes les expériences profondément vitales ». Car sans narcissisme on n’existe pas, ou mal… Il n’a pas pour la psychanalyse, en tout cas, le caractère négatif que lui accorde le langage commun, même si il existe des pathologies qui lui ont valu sa mauvaise réputation. Pas question non plus de faire de la célébrité un mal incurable. On n’attrape pas le narcissisme ni la renommée comme une vulgaire grippe !
Sur ce terrain aussi, il y a obligatoirement un commencement, baptisé « narcissisme primaire », il est représenté par la dyade mère-enfant, en totale symbiose. On ne sait pas vraiment de quoi cet « amour primaire » est fait. C’est un moment où, paradoxalement, le bébé se trouve totalement démuni, dépendant et grandement fragile, mais où il se vit comme tout-puissant, servi par une mère totalement dévouée à Sa Majesté le bébé. Le narcissisme primaire est là au début de sa vie et, comme pour le big bang, on n’en perçoit que des traces. Il persistera comme une sorte d’éden lointain, de temps fondamental dont dépendra le bon déroulement de la construction psychique.
Dès lors, l’environnement dit sécure (stable et sécurisant) proposé par un entourage affectif (généralement la mère, puis les parents) suffisamment attentif et disponible permet la construction d’un narcissisme solide. Pour se confronter à la réalité, obligatoirement et dramatiquement brutale car frustrante et inadaptée à ses désirs, l’enfant va devoir être graduellement capable de s’en accommoder. Petit à petit, et grâce toujours à un entourage protecteur, il va pouvoir supporter les frustrations du monde et comprendre la différence entre l’idéal de perfection et le fait d’être simplement « assez bon ». Il apprend alors que ni lui ni les autres ne sont tout à fait extraordinaires ni tout à fait nuls : c’est l’apprentissage des nuances, des contradictions, et la sortie d’une vision du monde en « tout ou rien ». Ces repères parentaux positifs sont intériorisés tels des trésors et deviennent des objets internes, stables et bienveillants, au plus profond de soi, qui soutiennent le sujet dans le malheur, l’aident à supporter la frustration, les échecs, en maintenant la confiance en sa propre valeur. C’est le « bon narcissisme », ou « narcissisme constructif », une sorte d’assurance tranquille acquise grâce au sentiment d’amour inconditionnel donné par les parents sans que l’enfant ait à prouver quoi que ce soit.
Il faut sûrement chercher dans les recoins de l’histoire affective, probablement à l’endroit où l’on s’y attend le moins, le germe d’une carrière à succès. Chanter debout sur une table lors des fêtes de famille, s’émerveiller du regard du public lorsque l’on monte sur la scène de l’école, tous les enfants ou presque l’ont fait ! Et ça n’a pas suffi à en faire des vedettes.
Dans la vie d’une star il s’est donc passé quelque chose qui a à voir avec le développement du narcissisme. Mais quoi ? La dynamique de la célébrité doit être explorée de ce côté-là. Quels sont les aléas de la vie qui forgent un tel besoin de reconnaissance ?
S'il y a autant de façons de devenir célèbre que de parcours de célébrités, on est frappé par la récurrence de certains événements. Ce sont des histoires dans lesquelles les manques et les traumatismes laissent entrevoir que, pour certains, la renommée serait comme la réponse à un drame initial.