17 Janvier 2018
Quoi qu'ait fait Harvey Weinstein, on lui doit tous beaucoup dans ce métier. C'est lui qui a inventé le jeu. Sans lui, les campagnes pour les Oscars ne seraient pas ce qu'elles sont aujourd'hui. Ni même les Oscars, d'ailleurs. Celle qui parle ainsi s'appelle Peggy Seagal. Elle possède l'un des plus prestigieux carnets d'adresses de Hollywood et chacun connaît son nom : comme Weinstein au temps de sa gloire, elle aussi est un personnage incontournable dans la course aux Oscars. Beaucoup partagent son opinion à Hollywood : Harvey Weinstein a définitivement marqué notre époque. Mais pas seulement en matière de cinéma. Que ce soit au déjeuner donné à la projection de «Dunkerque», de Christopher Nolan, ou à la cérémonie des Gotham Independent Film Awards, quand Al Gore parle de l'ouragan Harvey en présentant son documentaire sur le changement climatique, le producteur déchu est au centre de toutes les conversations. Il l'a d'ailleurs toujours été. Sauf qu'aujourd'hui, on parle de lui comme s'il était mort. Au dernier festival de Cannes, je le revois se balader encore de table en table sur l'élégante terrasse du Cap-Eden-Roc, embrassant les uns, méprisant les autres. Avec cet air de clodo qui se fout de tout, la mine patibulaire, les pans de sa chemise blanche froissée pendant sur son pantalon, son gros bide à l'air. C'était il y a quelques mois....autant dire un siècle !
Sa chute a donné le vertige au cinéma américain. Du jour au lendemain, tous les codes ont changé. Hollywood, l'Amérique et le monde sont entrés dans l'ère post-Weinstein. En moins de trois mois, plus de 70 hommes à Hollywood ont été accusés de harcèlement sexuel. Fébriles, les attachés de presse évitent au maximum les contacts avec les médias, que Weinstein - dont même le nom semble devenu toxique - savait si bien utiliser. Fournir des potins sulfureux sur ses acteurs était un de ses moyens de chantage préférés. Qu'il livrait en échange de bons papiers. Pour s'assurer du silence des actrices qu'il harcelait. Il savait aussi les menacer de révélations embarrassantes.
Aujourd'hui, tout souvenir, toute histoire porte en soi le risque d'une bombe à retardement. Connues du grand public ou pas, les têtes tombent les unes après les autres. Dorénavant, les hommes puissants ne sont plus intouchables. Mais rares sont ceux qui, comme Louis CK, le roi du stand-up, accusé de s'être masturbé devant plusieurs femmes, ou Morgan Spurlock, le réalisateur de «Super Size Me», suspectés de harcèlement et de viol, osent prendre les devants et reconnaissent les faits. La plupart des accusés préfèrent tout nier en bloc, à l'instar de Bryan Singer, le metteur en scène de la série «X-Men» et de «Usual Suspects», accusé d'agression par plusieurs hommes et du viol d'un jeune homme de 17 ans sur un Yacht en 2003. Ses dénégations n'ont pas empêché la Fox de le virer immédiatement.
Les actrices sorties de leur silence s'expriment comme elle l'entendent : Jessica Chastain, Salma Hayek, Ashley Judd et beaucoup d'autres prennent la parole. Certaines restent encore dans l'expectative. Parler ou se taire ? Asia Argento, l'une des premières à avoir témoigné contre Weinstein, refuse désormais de s'exprimer, ne souhaitant pas devenir la porte-parole d'une cause. Uma Thurman dit attendre d'être moins en colère pour se confier, mais alimente le suspense. Le 23 novembre, l'actrice de «Kill Bill» postait sur Instagram le message suivant : «Joyeux Thanksgiving à tous «(excepté à toi, Harvey, et à tous tes vilains conspirateurs ! Je suis contente que tout se passe lentement, tu ne mérites même pas une balle)».
En attendant la sorite de ses Mémoires et de sa ligne de cosmétiques, Rose MCGawan, elle, bombarde de Tweet vengeurs tout ce qui bouge, Meryl Streep en tête, qu'elle accuse d'avoir travaillé avec «ce porc de Weinstein» en toute connaissance de cause. Matt Damon est épinglé pour son art de la nuance : Il a déclaré qu'on ne pouvait pas mettre dans le même panier un homme qui pelote une femme et un homme qui la viole. Surprenant, en revanche, le silence de Sharon Stone, toujours la première d'habitude, à monter au créneau. Personne ne se risque à avancer une explication. «Ce n'est pas seulement une histoire de sexe, mais aussi de pouvoir», martèle Ashley Judd devant un parterre de femmes au Paley Center de Beverly Hills. Elle a été parmi les premières à déclarer publiquement avoir été agressée par Weinstein. «Le plus important, continue-t-elle, ce n'est pas se savoir quelle doit être la punition mais de comprendre ce qui, dans notre société, conduit des hommes à penser qu'ils peuvent agir en toute impunité.»
Corey Feldman, la vedette masculine des «Goonies», révélait en 1995, avoir été victime d'abus alors qu'il avait 14 ans. Cet ex-enfant star qui, à 46 ans, ressemble à un vieil adolescent, n'a cessé depuis de dénoncer la pédophilie. Un des secrets les plus sombres de Hollywood. Dernièrement il a livré pour la première fois les noms de ses agresseurs, l'acteur Jon Grissom, le Hollywoodien Alphy Hoffman, dont le vrai nom est Alphy Rivas, et Marty Weiss «On a longtemps essayé de me faire taire, mais c'est fini !».
Le LAPD avait brièvement ouvert une enquête sur les revendications de Corey Feldman, mais l'avait abandonnée quelques jours plus tard, disant que le délai de prescription avait expiré. Feldman a révélé en octobre dernier qu'il avait donné à la police de Santa Barbara des enregistrements dans lesquels il donnait les noms des hommes qui l'avaient maltraité à l'époque, mais que les enquêteurs n'avaient jamais tenu compte de ses allégations.
Le bureau du shérif de Santa Barbara a réagi en disant que Feldman était un menteur, affirmant qu'il n'existait pas d'enregistrements, mais le 6 décembre 2017, ils admettaient que les cassettes avaient été retrouvées dans les archives de la police, où elles avaient été classées pendant 25 ans. Le bureau du shérif procède donc à un examen supplémentaire pour tout article stocké dans l'enquête sur Michael Jackson en 1993, a déclaré Kelly Hoover, le porte parole du shérif. L'enregistrement a été remis au département de police de Los Angeles. «Étant donné que cette affaire concerne l'agression sexuelle présumée d'un enfant, nous sommes dans l'impossibilité de commenter davantage et toute documentation ou preuve relative à cette affaire ne sera pas divulguée.»
«Ce que vous voyez en ce moment n'est que le sommet de l'iceberg», affirme Alan Nierob, président de Rogers and Cowan et attaché de presse de Mel Gibson, Richard Gere et Jamie Foxx....En ligne de mire, les puissantes agences - toutes dirigées par des hommes - qui s'occupent des acteurs et des réalisateurs. Censées protéger leurs clients, elles sont accusées aujourd'hui de complicité. Quand ce n'est pas plus grave. Ainsi, Cade Hudson, agent de Sean Penn et de Britney Spears, aurait bombardé de textos pornos un jeune acteur avant de lui proposer une fellation en échange d'un accès privilégié à son carnet d'adresses. Viré. D'autres suivront. Creative Artists Agency, l'une des agences les plus influentes, a choisi d'anticiper. Elle a annulé sa soirée, qui se tient chaque année la veille des Golden Globes, et décidé de créer un fonds en faveur des victimes de harcèlement.
Ceux dont les oreilles sifflent ont du mouron à se faire. «Pas tous malheureusement, se désole Alan Nierob. beaucoup rôdent encore, mais ils sont hyper-protégés. Il ne leur arrivera rien».
Une commission d'enquête sur le harcèlement sexuel à Hollywood vient d'être mise en place. A sa tête, Anita Hill. En 1991, cette professeure en droit avait dénoncé la conduite déplacée de son supérieur Clanrence Thomas, tout juste nommé juge à la cour suprême. Aujourd'hui, elle dit souhaiter mettre un point final à la culture du silence.
John Lasseter, cofondateur des Studios Pixar, pionnier de l'animation 3D, un homme tout rond avec des chemises à fleurs, a été forcé de prendre un long congé sabbatique. En cause, des mains trop baladeuses. «Ce type est un génie. Je ne vois pas comment on pourra le remplacer», regrette le producteur Patrick Wachsberger, président de Lionsgate. La violence avec laquelle Kevin Spacey, accusé de harcèlement sexuel sur des mineurs, a été littéralement effacé et remplacé au pied levé par Christopher Plummer dans «Tout l'argent du monde». Le film de Ridley Scott, ne choque ici personne. Mais pas forcément pour les mêmes raisons. «C'est un formidable coup de marketing, s'amuse Patrick Wachsberger. On a jamais autant parlé du film !». Spacey n'a pas encore été jugé mais les producteurs ont tranché. Même si cela leur a coûté 10 millions de dollars ! Dans le système américain, on est pourtant présumé innocent jusqu'à preuve du contraire. Mais les plus grandes société préfèrent prendre les devants. Beaucoup sont virés car leurs employeurs veulent préserver leur respectabilité. Ils redoutent de subir l'outrage de leur communauté s'ils ignorent les allégations.
Accusé par sept femmes de harcèlement et par une autre de viol, BRETT RATNER, l'ami de feu Michael Jackson, réalisateur de «Rush Hour» et producteur de «Prison Break» a dû renoncer à de fabuleux contrats et à ses bureaux au sein de la Warner Bros.
Pour la première fois, on prend enfin les femmes au sérieux, et les hommes commencent à se poser des questions. Mais les générations s'affrontent. Les plus jeunes réclament la tolérance ZÉRO. Certaines de leurs aînées, plus nuancées, se souviennent, histoires personnelles à l'appui, que le patron de la Fox Darryl F.Zanuck recevait tous les après-midi de 16 heures à 16 h 30 de jeunes actrices dans un boudoir adjacent à son bureau. Et pas simplement pour leur faire répéter leur rôle. Ou qu'Alfred Hitchcock harcelait les actrices. A l'époque, on n'a pas pour autant brûlé leurs films. Les moeurs changent.
Les boîtes de management de crise font fortune. Quant aux avocats qui facturent 1 000 dollars l'heure, n'en parlons pas ! Marty Singer, surnommé «le pitbull de Hollywood», qui a pour clients le «Who's Who», de Bill Cosby à Travolta, de Schwarzenegger à BRETT RATNER, ne sait plus ou donner de la tête....Pour sa défense, Harvey Weinstein a choisi BENJAMIN BRAFMAN, qui fut, un temps, l'avocat de Michael Jackson et le célèbre pénaliste qui a soutenu DSK.
Le Raz de marée a dépassé le périmètre de Hollywood. Que ce soit dans les médias, dans le monde politique ou à la Silicon Valley, c'est l'hécatombe. Le chef d'orchestre James Levine, le dramaturge Israel Horovitz, Roy Price, le patron des studios d'Amazon, mais aussi les présentateurs vedettes des principales chaînes de télé Bill O'Reilly de Fox news, Charlie Rose à CBS, Matt Lauer sur NBC...Tous font l'objet d'accusations. Pour maintes grandes sociétés, les considérations financières passent bien avant les considérations morales. Elles ont attendu de se retrouver au dos du mur pour agir.
Les accusations de harcèlement en politique, de plus en plus fréquentes, commencent à peser à Washington. Si l'affaire Weinstein avait éclaté il y a un an, Trump aurait-il été élu ? Dix neuf femmes le dénoncent pour harcèlement ! Il nie tout en bloc.
Cette année, la cérémonie des Golden Globes a eu lieu comme prévu le 7 janvier 2018.
Dimanche soir, sur la scène des Golden Globes 2018, première cérémonie du genre de l'ère post-Weinstein, Oprah Winfrey a reçu un prix récompensant l'ensemble de sa carrière. Pour l'occasion, la présentatrice de 63 ans a prononcé un discours enflammé en faveur des victimes de harcèlement sexuel. (L'intégralité du discours est ici)
Aux Golden Globes, par solidarité avec les victimes de harcèlement, actrices et présentatrices étaient habillées de noir.
Dans un centre commercial de Hollywood Boulevard, on a longtemps pu voir «The Road To Hollywood», une sculpture d'Erika Rothenberg surnommée «The Casting Couch», qui représente une méridienne sous laquelle était gravé : «LA ROUTE VERS HOLLYWOOD, CERTAINS D'ENTRE NOUS Y SONT ARRIVÉS».
L'oeuvre avait été retirée dans les jours suivants les révélations de l'affaire Weinstein. Elle vient de retrouver sa place.