29 Mars 2019
Les mauvais traitements que Michael Jackson a subis étaient dévastateurs, mais sans doute pas sexuels. Est-ce que cela a aidé les fans à croire en son personnage inoffensif de Peter Pan ?
Psychanalyste Suisse, Alice Miller (1923-2010) a lutté pendant vingt cinq ans contre les châtiments corporels - claques, fessées, humiliations, coups, gifles, tromperies, exploitation sexuelle, moqueries, négligences etc. - infligés aux enfants. Un combat repris par le Conseil de l'Europe, qui se mobilise pour leur interdiction. Les enfants humiliés et maltraités ne deviennent pas des monstres, mais tous les monstres ont été des enfants humiliés et maltraités. Devenu une évidence, ce constat, n'allait pas de soi quand Alice Miller le formula au début des années 1980.
Dans c'est pour ton bien, l'ouvrage qui fonde en 1984 l'acte de sa pensée, elle prend pour exemple la trajectoire d'Adolf Hitler : L'origine de sa cruauté serait à situer dans son enfance.
Soutenue par L'Unesco et l'Unicef, sa thèse est aujourd'hui relayée par de nombreux thérapeutes ainsi que par des associations qui militent contre les violences «ordinaires» faites aux enfants.
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Jimmy Savile. Harvey Weinstein. R.Kelly. Kevin Spacey etc. Nous ne sommes pas à court de célébrités accusées d'avoir exploité leur renommée pour masquer un comportement prédateur. Pourtant, l'affaire Michael Jackson est un peu différente. Pas seulement parce qu'il est toujours défendu avec autant de passion, mais parce qu'il avait simultanément, et en même temps, très peu caché son profil de prédateur.
Au cours de sa vie, il a dit avec plaisir qu'il partageait son lit avec des petits garçons et a toujours été photographié et filmé avec eux, même après avoir été publiquement accusé.
Avec Jackson, nous avons assisté, de manière unique, à toute une vie d'abus se déroulant sous nos yeux, au cours de laquelle le petit Michael, jadis adorable, dont le père l'avait agressé physiquement, a grandi pour devenir lui-même l'agresseur le plus notoire de la musique moderne.
Il était plus facile de nous convaincre que cet homme adulte qui idolâtrait Peter Pan n'était que bizarre, enfantin et inoffensif.
Joe Jackson, qui est décédé l'année dernière, faisait partie d'une tradition pas très reluisante de pères cauchemardesques de familles de célébrités. Murry Wilson, le père de Dennis, Carl et Brian, des Beach Boys, est probablement son concurrent au titre du pire père de l'histoire. Il punissait ses fils en retirant son oeil de verre et les obligeait à fixer sa cavité vide.
Joe Jackson était si vicieux que même quand Michael avait 40 ans, il disait aux gens, que le simple fait de penser à son père le rendait malade. Et pas de surprise : dans son enfance, son père le battait avec pratiquement tout ce dont il disposait, des ceintures aux cordons électriques en passant par des branches d'arbres. Wade Robson et James Safechuck ont dit lors d'une interview que Jackson leur avait longuement parlé des abus émotionnels et physiques que son père lui avait fait subir pendant son enfance, et qu'il avait toujours peur de lui.
Cet homme adulte se tournait vers les petits garçons, sans doute, pour se réconforter. Ironiquement, Joe justifia l'abus de ses enfants en disant qu'il les aidait à devenir célèbres et riches, tout comme les nombreux parents qui poussaient leurs enfants dans l'orbite clairement malsaine de Jackson en se disant qu'il allait aider leurs enfants à devenir célèbres.
C'est une vérité tragique, mais bien établie, qu'un adulte agresseur a été victime de violences dans son enfance.
Michael Jackson a ostensiblement orienté le public, ainsi que les parents de ses victimes, en insistant sur le fait que son amour pour les enfants n'avait rien à voir avec la pédophilie, mais qu'il exprimait plutôt son désir de revivre une enfance que son père lui avait refusée.
Mais deux choses peuvent être vraies simultanément : Jackson était l'un des interprètes les plus talentueux de tous les temps et un prédateur ; Jackson a pleuré son enfance perdue, mais il était un pédophile.
La vraie question est de savoir pourquoi le public néglige ce qui était tellement évident depuis si longtemps?
Dans le cas particulier de Jackson, il y a plusieurs raisons : son énorme célébrité, donnant l'impression qu'il vivait dans un autre monde et qu'il était asexué , son talent extraordinaire, que personne ne voulait bannir ; son argent qui lui assurait une énorme protection juridique et une vie privée sans limites. Mais l'autre raison est que le public avait conscience de son passé. La brutalité de Joe Jackson n'était pas un secret et Michael, délibérément ou non, a fait preuve de beaucoup de sympathie envers lui, il lui avait pardonné disait-il, et tout le monde, de Quincy Jones à Corey Feldman, l'a décrit comme «un enfant perdu», même quand cet enfant avait la quarantaine !
À plusieurs reprises, Jackson a dit aux mères de Robson et de Safechuck combien il était seul mais il ne fait aucun doute qu'il était trop célèbre pour ses amis, et trop intelligent pour laisser sa famille rester près de lui trop longtemps. Et comme nous savions tous à quel point il avait été maltraité dans son enfance, il était plus facile de nous convaincre que cet homme adulte qui idolâtrait Peter Pan et avait construit un parc d'attractions dans le parc de sa maison, était simplement un cinglé innocent et enfantin. Il a esquissé une histoire et nous l'avons cru. Nous nous sommes concentrés sur la première histoire d'abus sans vraiment chercher à la comprendre pour ensuite ignorer ou nier toutes les autres.
Depuis sa mort, Michael Jackson reste la vache à lait de la famille Jackson, autant qu'il l'était dans la vie. Joe Jackson a brutalement poussé ses enfants, et en particulier Michael, sous les projecteurs, quel qu'en soit le coût physique et psychologique. La famille s'est ensuite agrippée à lui alors qu'il était adulte, même s'il était évident qu'il n'allait pas bien, et l'a défendu avec acharnement face à des accusations de plus en plus graves.
L'histoire de Jackson ne comporte aucune rédemption, il a été exploité par sa famille aussi bien dans la mort que dans la vie. Mais dans sa vie, nous avons vu comment se déroulait le cycle de la maltraitance : comment un petit garçon meurtri peut-il grandir sans en abîmer d'autres ? Voilà pourquoi notre sympathie pour quelqu'un qui a souffert dans son enfance ne devrait jamais nous aveugler sur les terribles souffrances qu'il a causées alors qu'il était un adulte responsable.
La prise de conscience, pour les victimes d'abus sexuels implique de nombreuses conséquences et ressentis.
La culpabilité, la honte, la peur, le constat d’un isolement, la nécessité de faire prendre en charge des troubles physiques et psychiques, le besoin d’agir en justice, de se défendre et de se protéger, font partie de ces conséquences.
Toutes les victimes une fois sorties de l'emprise de leurs prédateurs, veulent parler, veulent comprendre ce qu'elles ont vécu, tout comme elles veulent être comprises. Dan Reed a tendu la main à James et Wade pour construire leur avenir. Un face-à-face avec la caméra qui interpelle le spectateur, le met devant une réalité qui effraie et dérange, mais qui brise les tabous et déclare la guerre au déni des violences sexuelles. Un changement d'état d'esprit de la société face à ces violences intimes était nécessaire pour faire reconnaître aux deux hommes leur statut de victimes, et que ce qu'elles ont vécu serve au moins à d'autres hommes dans une situation comparable à la leur et qui n'osent rien dire parce qu'ils ont honte, ou par peur d'être harcelés par les fans fous de Jackson, qui ne comprennent même pas qu'eux-mêmes ont été trompés par leur idole.
Il est difficile d'accepter la vérité lorsque les mensonges correspondaient exactement à ce que l'on voulait entendre !