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L'école en bateau : La pédophilie en col blanc.

L'école en bateau : La pédophilie en col blanc.

Il rêvait d'un «autre enfant», qu'il façonnerait à son image. D'un enfant qu'il se chargerait d'extraire des carcans réducteurs de l'école, de la famille et de la société, et qu'il embarquerait sur son voilier, à la découverte du monde. 

Je crois pouvoir permettre à quelque petit bourgeois en herbe, à quelque petit hérisson de la rue, de s'essayer à devenir enfant-faber, enfant-musique, enfant-soleil caressant et ardent...

Écrivait Léonid Kameneff aux débuts de son projet L'ÉCOLE EN BATEAU.

Le discours a séduit au-delà de ses espérances. Entre 1969 et 2002, plus de 400 garçons et 60 filles âgés de 9 à 15 ans ont embarqué pour de longues traversées - souvent un an, parfois plus - à bord de ses trois voiliers.

A bord, les enfants, chargés de la navigation, de l'entretien du navire, de l'intendance, au même titre que leurs tuteurs, sont théoriquement incités à se considérer comme les «égaux des adultes». «Enfants, je ne crois pas à votre minorité», écrit Kameneff dans son livre manifeste : Écoliers sans tablier. 

Instituteur devenu psychologue, né en 1937, fils d'un réfugié russe et d'une mère restauratrice en Bourgogne, il prône la sexualité entre enfants et adultes. 

Je ne vois aucune raison objective à l'interdiction des rapports sexuels aux enfants, écrit-il. On violente pas mal au nom de l'éducation. Le sexe, ce serait quand même plus caressant.

Léonide Kameneff, fondateur de L'École en bateau, le 15 février 2013. JACQUES DEMARTHON/AFP

Léonide Kameneff, fondateur de L'École en bateau, le 15 février 2013. JACQUES DEMARTHON/AFP

Dans son émission «Le monde en face» du 15 avril 2014, France 5 a présenté un remarquable documentaire : «L'école en bateau : L'enfance sabordée» de Laurent Esnaut et de Rejane Varrod, suivi d'un débat animé par Carole Gaessler

Ce documentaire donne la parole à six des victimes du procès en cour d'assise de Léonide Kameneff qui a été jugé avec trois autres adultes pour viols, tentatives de viols et agressions sexuelles sur neuf enfants, et reconnu coupable et condamné à 12 ans de réclusion criminelle.

Une affaire emblématique : 

Laurent Esnault, réalisateur du documentaire et lui-même une des victimes, cherche de façon sensible et juste à comprendre pourquoi le silence et la culpabilité ont empêché si longtemps les enfants de dénoncer leurs agresseurs. Il dresse également le constat des ravages causés par les violences sexuelles dans les vies des victimes.

L'affaire de l'école en bateau est emblématique pour de multiples raisons : 
  1. La loi du silence et le déni d'une société qui a laissé de 1969 à 2002 des enfants subir des crimes en toute impunité, sans que personne ne s'en rende compte, n'intervienne pour que cela cesse, ni ne fasse de liens entre leur souffrance, leurs idées suicidaires, leur estime de soi détruite, et des violences qu'ils auraient pu subir, et qui les a laissé survivre seul(e)s.
  2. La difficulté incroyable de la justice à prendre en compte la gravité des faits et à agir, malgré une première plainte en 1994 qui a fait l'objet d'un non-lieu. Il aura fallu 19 années de procédures judiciaires (avec le reconnaissance d'un déni de justice en 2002) et de nombreuses plaintes qui se sont accumulées pour qu'enfin un procès d'assise ait lieu en mars 2013.
  3. L'injustice de la prescription qui est de 10 ans ou de 20 ans après la majorité de la victime. L'enquête a révélé que plus d'une quarantaine d'enfants au minimum ont été victimes (en tout 400 enfants de plus de 9 ans ont participé à cette «aventure»), seules neuf victimes ont pu avoir accès à la justice, les autres n'ont pu qu'être témoins lors du procès. 

Lire la suite sur le site de ► l'OBS 

L'école en bateau : La pédophilie en col blanc.
LE PROCÈS EXEMPLAIRE DE L'école en bateau.

Un voilier naviguant sur les mers, l'aventure et l'utopie, l'école autrement, des «élèves» dorés et nus sur le pont, tout cela est venu s'échouer entre les quatre murs clos de la cour d'assises de Paris. Pour le fondateur de l'Ecole en bateau, Léonide Kameneff, 76 ans, condamné à douze ans de réclusion criminelle, il n'y a plus de rêve mais, selon la motivation de l'arrêt rendu vendredi 22 mars 2013,  la brutale réalité de «viols et d'agressions sexuelles commis sur de très jeunes garçons pendant plus de vingt ans», plus de liberté mais «un conditionnement quasi sectaire à l'égard d'enfants particulièrement vulnérables», plus d'idéal pédagogique mais «une emprise psychologique pour assouvir des pulsions sexuelles». Et il n'y a pas même la circonstance d'une «époque prétendument permissive» - celle des années qui ont suivi mai 68 - mais «une sexualité déviante et profondément traumatisante pour les victimes». 

Deux autres accusés, Bernard Poggi, 60 ans - qui avait lui-même été abusé, enfant, par Léonide Kameneff - et Jean-François Tisseyre, 58 ans, aujourd'hui atteint d'une grave infirmité, ont été reconnus coupables et condamnés respectivement à 6 ans ferme et 5 ans avec sursis. Le quatrième accusé, mineur au moment des faits, a été acquitté.    

De l'École en bateau, il reste aujourd'hui trois semaines d'un procès exemplaire en 2013. Écrit par Pascale Robert-Diard (Blog Chroniques judiciaires)  journal le Monde : 

Il aura fallu ces quatre murs, cette confrontation incessante entre les accusés et la dizaine de parties civiles - des adultes âgés de 33 à 46 ans - pour que s'exprime ce qui avait été si longtemps enfoui. La parole des enfants d'hier, qui portaient leur honte et se taisaient devant les illusions des parents et la certitude d'avoir bien fait. Celle de ces parents, rongés de colère et de culpabilité. Mais aussi celle des accusés. Violent et douloureuse pour Bernard Poggi, aujourd'hui père de trois enfants, reconnaissant à la barre qu'il avait bien été «ce pédophile, ce prédateur, ce salopard», mais déposant aussi devant la cour et les jurés le secret qui l'unissait au fondateur de l'École en bateau, qui l'avait initié à la sexualité lors d'un voyage en mer quand il avait douze ans. 

La parole fut plus lente et plus complexe pour Léonide Kameneff, défendant au premier jour du procès le monde idéal de «suppression des barrières entre majeurs et mineurs» qu'il avait voulu créer, reconnaissant au mieux des «partages de caresses et de tendresse», et craquant à la barre, dix jours plus tard, après l'ultime témoignage d'un ancien pensionnaire, pour admettre des agressions sexuelles et un viol.

Ce procès a fait acquitter son principal accusé, le temps. Ce «temps perdu, gaspillé» par de longues années d'inerties judiciaires qui, comme l'a reconnu l'avocat général Bruno Sturlese, a eu «un effet de tamisage évident» du dossier d'accusation, écartant des poursuites certains adultes proches de l'École en bateau et faisant tomber le couperet de la prescription sur les accusations portées par une trentaine d'anciens pensionnaires venus déposer à la barre comme simples témoins. Ce temps qui devait fausser le jugement et empêcher de comprendre une époque dont Léonide Kameneff, lecteur de Roland Barthes et de Michel Foucault, était le fruit.

«À ceux qui disent : ne vous trompez pas d'époque, je réponds, ne vous trompez pas de procès !» avait lancé l'avocat général, en poursuivant à l'adresse de la cour et des jurés : «Vous ne jugez pas les écoles alternatives, vous jugez une question bien plus fondamentale, qui est celle des actes sexuels commis par des adultes sur des enfants».

Ce risque a été balayé par la puissance de l'audience d'assises, où chacun a tenu son rôle. Un président, Olivier Leurent, conduisant les débats avec un tact infini et sachant faire bouger les lignes, saisir le moment de l'aveu que des années d'instruction n'avait pas obtenu. Un avocat général qui observe, évite les mots inutilement blessants, se nourrit de l'audience et lui ajuste son réquisitoire. Ses réquisitions de peine, soigneusement hiérarchisées, ont d'ailleurs été plus modérées que celles prononcées par la cour. Un avocat de la partie civile, Me Eric Morain, portant sans jamais déraper la parole des anciens élèves de l'Ecole en bateau. Un avocat de la défense, Me Yann Choucq guidant Léonide Kameneff vers une reconnaissance de culpabilité à laquelle il s'était si longtemps refusé et n'hésitant pas à aller au-delà de ce que son client reconnaissait. «J'ai une certitude, c'est que  quelque part dans cette histoire, il y avait de l'amour, aussi énorme que ce mot puisse paraître dans cette salle d'audience», a dit Me Choucq dans sa plaidoirie. Mais cela ne justifie rien. Car si je conçois que vous avez aimé ces enfants, Léonide Kameneff, je dois vous dire que vous les avez trop aimés, et mal aimés. Parce que vous avez confondu deux choses : «la sensualité de l'enfant et la sexualité de l'adulte. Le rêve est aujourd'hui brisé et vous en portez la responsabilité».   

Et puis il y a eu ces adultes venant dire tour à tour à la barre l'enfant qu'ils avaient été.  Ces garçons ou cette fille âgés de 10 à 15 ans réveillés la nuit dans leur couchette par les caresses d'un adulte. Ces gestes subis et rendus «dans le noir et le silence». Ces phrases qu'on leur murmurait: «Si je te fais du bien, c'est que je ne te fais pas de mal». La crainte de décevoir «Léo», leur héros, en se refusant à lui et celle d'être débarqués du bateau, s'ils ne se montraient pas assez dociles ou compréhensifs. Ces retours trop rares dans leur famille et cette image, terrible, des «retrouvailles à Orly» que Me Morain avait demandé à la cour et aux jurés d'emporter dans leur délibéré.  «L'enfant est là, au bout de l'escalator. Il est l'enfant prodigue. Ses parents, qu'il n'a pas vus depuis dix mois, l'attendent en bas. Ils sont fiers. Et la mère dit: «Alors, c'était bien?» Mais que voulez-vous qu'il dise l'enfant? Qu'on lui a mis un sexe d'homme dans sa bouche de gamin de 10 ans? Comment pourrait-il décevoir le bonheur et l'espoir de ses parents? Alors il parle des coquillages, du soleil, de la mer et du vent». 

Kameneff a été interpellé au Venezuela en 2008, puis extradé. Lors de l'instruction, il a reconnu une partie des faits. Mais seulement ceux prescrits et les agressions sexuelles, mais pas les accusations de viols. Il affirme désormais avoir dit «ce qu'on attendait de lui» pour sortir de détention provisoire où il a passé «19 mois et demi». En liberté sous contrôle judiciaire, il explique que «la société a vraiment changé». «Des choses qui paraissaient normales à l'époque, éducatives, sont regardées aujourd'hui avec suspicion, comme être nus à bord. Ce n'était pas du tout caché, on l'a vu dans des émissions de télévision, tous les parents étaient au courant. (....) C'était du naturisme familial, sans connotation sexuelle, la recherche d'une vie tranquille, paisible. Si ce procès arrive à mettre ça en valeur, ce sera énorme». Il dit «chercher à comprendre la raison de ces plaintes» émettant l'hypothèse d'un «mal-être» des plaignants. 

L'avocat des plaignants, Me Eric Morain, estime que «toute l'ambiguïté de ce dossier est de démontrer qu'au milieu du rêve, il y avait des abus». Il souligne «l'emprise et la manipulation» de Kameneff sur les jeunes. Dans un climat décrit comme «Libertin» par les parties civiles, certains ont en effet évoqué un «cassage psychologique», comparant la vie sur le bateau à celle d'une secte. Benoît Klam, un des plaignants avait 9 ans lorsqu'il est embarqué en 1986 : «J'étais scolarisé normalement, ça fonctionnait bien au niveau de la famille, j'étais attiré par l'aspect voyage itinérant. Après quelques semaines à bord, les premières agressions sexuelles sont arrivées. Je n'avais rien vu venir. Dans les mois suivants, un certain contexte, un peu sexualisé, est apparu, avec des séances de massage communes, virant facilement à des massages érotiques. On se baignait nus, c'était mal vu de ne pas se mettre nu». À l'instar d'autres plaignants, il évoque un «cassage psychologique» : «À bord, la vie en famille, la vie à terre, était totalement dénigrée et quitter le bateau était une décision difficile. Après coup, je vois Kameneff comme une sorte de gourou qui inculquait sa manière de voir, sans violence physique, y compris lors de viols».

La justice française a été trop lente. Le tribunal de grande instance de Paris a jugé «excessives» les 17 années de l'enquête menée dans le dossier dit de l'École en bateau. Il l'a condamné à indemniser à hauteur de 250.000 euros 11 anciens élèves qui disent avoir été victimes d'agressions sexuelles commises entre 1979 et 1995 à bord de trois voiliers qui naviguaient à travers le monde. «Les différents délais excessifs (...) caractérisent le déni de justice», a déclaré la première chambre civile.

Dans son jugement, le tribunal a mis en avant «l'inaction du ministère public» à plusieurs moments de l'enquête, ainsi que celle du juge d'instruction de Fort-de-France saisi au tout début de l'affaire ou encore «l'absence de traitement de deux plaintes émanant de personnes se disant victimes de faits d'une extrême gravité au plan pénal et aux conséquences susceptibles d'être dramatiques et durables pour les intéressés qui ont longuement mûri leur décision de saisir la justice».

À l'audience, pour justifier ces lenteurs, l'avocat représentant l'État avait mis en avant la complexité du dossier et la dispersion des plaintes émanant de jeunes résidant dans des départements différents.

Les juges parisiens ont retoqué cet argument, jugeant que ces délais «inutiles» ne pouvaient «s'expliquer par la difficulté du dossier». Pour le tribunal, les demandeurs ont bien subi «un préjudice moral», car «ayant fait une démarche difficile pour eux et pour leur entourage, ils n'ont pas reçu de réponse de la justice dans des conditions normales» Ils ont pu penser, regrettent les juges, que la justice «ne prenait pas les moyens d'empêcher la réitération d'infractions graves».

La France était en 2013 derrière l'Italie, le deuxième pays le plus condamné pour ce motif devant la Cour européenne des droits de l'homme.

L'avocat général a notamment rappelé qu'il existait déjà, du point de vue des personnes accusées, un moyen de sanctionner la durée excessive d'une procédure : La prescription.

Plus de 20 ans après les faits, Benoît Klam raconte son histoire dans un livre intitulé «Les perles de lumières» 

Ce livre il l'a écrit avant le procès, son objectif était de créer un pont entre le monde et lui-même. C'est le récit de ce foisonnement d'expériences qu'il a vécues pendant ces années. «C'est tellement inimaginable pour qui ne l'a pas vécu que ça crée un abîme entre le monde et moi, entre mes proches et moi-même. extérioriser tout ce que j'ai vécu, cela m'aide à me relier au monde».

Benoit Klam explique qu'il n'avait que neuf ans, et qu'il voyait Léonide Kameneff comme un dieu. «Il avait une très forte personnalité, il avait réussi à tous nous embobiner». il décrit également le peu de contact qu'il avait avec ses parents, qu'il a vus «trois fois un mois en 5 ans».

«On étaient tous autour de la table, et les adultes à bord, dont Kameneff, prenaient les enfants un à un et leur disaient leurs quatre vérités, combien l'enfant en question était nul, ne savait rien faire. Une humiliation totale. Chacun y passait et ce qui était assez pervers c'est qu'ils encourageaient les enfants à le faire entre eux», raconte-t-il.

Ce qui m'a décidé de partir, c'est une lettre que m'a envoyée ma mère en me disant qu'il serait peut-être temps de reprendre ma scolarité. Je me souviens très bien de cette lettre, ça a été comme un bouée de sauvetage, ça faisait quelques temps que j'étais en porte-à-faux, j'avais envie de partir mais je n'en avais pas le courage. ça m'a donné une excuse. Raconte Benoit Klam.

Puis, il passe dix ans sans parler de cette histoire. «C'était un secret très lourd à porter» «La problématique de la honte, de la culpabilité, mais aussi l'impression d'avoir été, à l'époque, conditionné à croire que j'étais un adulte, volontaire et partie prenante, et donc responsable, alors que je n'étais qu'un enfant». 

«Aujourd'hui, je le vis assez bien», conclut-il. «C'est un passé qui restera avec moi pour le restant de mes jours, mais le fait d'avoir revisité tout ce vécu au moment d'écrire ce livre, de l'avoir exprimé publiquement lors des Assises et qu'ils aient été reconnus coupables, cela fait du bien».

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