18 Novembre 2017
Les grands escrocs et les grands imposteurs sont des artistes, souvent géniaux. Des virtuoses de la tromperie. Pour accumuler des fortunes, pour arriver au faîte de la célébrité, pour acquérir une forme de gloire universelle, ils sont capables des pires mensonges. Tout le monde peut mentir, penserez-vous. Et vous avez raison. Mais quand il arrive que le mensonge s'élève au rang d'art et tutoie le génie, alors là : chapeau bas !
Plus vous êtes charismatique et intelligent, plus vous voilà armé pour devenir un grand escroc. Pour réussir dans cet étrange métier, il faut une volonté sans faille, une intelligence acérée, quasiment visionnaire, et un don pour percer les secrets du gogo qui est en face de vous. Il faut une connaissance quasi millimétrée de l'être humain, de ses pulsions, de ses faiblesses comme de ses forces.
- Dans la bibliothèque de Jackson, figurait le livre de Robert Greene publié en 1998 «48 Laws of Power» qui est une distillation de 3000 ans d'histoire du pouvoir.
Jackson a pratiquement suivi à la lettre certaines lois de ce traité de la manipulation:
LOI 3 : Cachez vos intentions.
Laissez les gens en porte à faux et dans l’obscurité en ne révélant jamais le but derrière vos actions. S’ils n’ont aucun indice de ce que vous allez faire, ils ne peuvent préparer aucune défense. Guidez les suffisamment vers la fausse direction, enveloppez les avec suffisamment de brouillard et au moment où ils découvriront vos intentions il sera trop tard.
LOI 5 : Tout dépend de la réputation, défendez la à tout prix.
La réputation est la pierre angulaire du pouvoir. Juste avec la réputation vous pouvez intimider et vaincre. Si elle s’effondre, vous devenez vulnérable et attaqué de toutes parts. Construisez votre réputation de manière inébranlable. Soyez toujours en alerte des attaques potentielles et contrez-les avant qu’elles n’apparaissent. Apprenez également à détruire la réputation de vos ennemis en ouvrant des brèches dans leur réputation. Ensuite restez en dehors et attendez que l’opinion publique les descende.
LOI 6 : Créez l’attention à tout prix.
( Dans cette loi, Robert Greene conseille d’associer son nom à la sensation et au scandale. Il faut se distinguer en créant une image inoubliable, voire controversée. Peu importe la qualité de l’attention que l’on reçoit. Une fois que l’on nous prête attention, nous détenons le pouvoir. Il ne tient alors qu’à utiliser cette attention à bon escient.....)
LOI 8 : Faites venir les gens à vous, utilisez l’enchère si nécessaire.
Quand vous forcez quelqu’un à faire quelque chose, vous êtes celui qui contrôle. Il est toujours plus efficace de faire venir votre adversaire à vous, abandonnant ses propres plans pour les vôtres. Appâtez-le avec de fabuleux gains, ensuite attaquez. Vous tenez les cartes en main.
LOI 12 : Jouez sur l’honnêteté et la générosité pour désarmer vos victimes.
Un acte sincère et honnête en couvrira une douzaine de malhonnêtes. Les actes de franchise et d’honnêteté désarment même les gens les plus soupçonneux. A partir du moment où votre honnêteté ouvre une brèche dans l’armure de votre adversaire, vous pourrez le décevoir et le manipuler avec soin.
LOI 22 : Utiliser la tactique de l’abandon, transformez la faiblesse en puissance.
Quand vous êtes plus faibles, ne vous battez jamais pour l’honneur, préférez l’abandon. L’abandon vous laisse du temps pour reprendre forme, pour tourmenter et irriter votre conquérant, le temps d’attendre que sa force diminue. Ne lui donnez pas la satisfaction de se battre et vous mettre en défaite, abandonnez en premier. En tendant l’autre joue, vous le rendez furieux et le perturbez. Utilisez l’abandon comme un outil de puissance. (Jackson abandonnait les gens qui le contredisaient où ne lui servaient plus !)
LOI 27 : Jouez sur le besoin de croyance pour créer un esprit culte.
Les gens ont un irrépressible besoin de croire en quelque chose. Devenez le focus de ce besoin en leur offrant une cause, une nouvelle croyance à suivre. Gardez vos mots flous mais plein de promesses, privilégiez l’enthousiasme plutôt que le rationnel et la pensée claire. Donnez à vos nouveaux disciples des rituels à faire, demandez leur des sacrifices pour votre cause. En l’absence de grandes religions et de grandes causes, votre nouvelle croyance vous apportera un pouvoir non dit.
LOI 32 : Jouez sur les fantaisies des gens.
La vérité est souvent niée parce qu’elle est laide et déplaisante. Ne faites jamais référence à la vérité et à la réalité avant d’être préparé à la haine qui suit le désenchantement. La vie est tellement rude que ceux qui créent de la fantaisie et de la romance sont comme des oasis dans le désert : tout le monde se ruent vers eux. Il existe un grand pouvoir à créer des fantaisies pour les masses.
LOI 34 : Soyez royal dans votre propre Mode :
Agissez comme un Roi et vous serez traité comme tel.
La manière dont vous vous comportez détermine souvent la manière dont vous êtes traité : dans la longue course, apparaissez commun ou vulgaire et les gens ne vous traiteront pas avec respect. Un Roi se respecte et inspire aux autres le même respect. En agissant royalement et confiant en vos pouvoirs, vous vous prédestinez à porter la couronne.
LOI 37 : Créez des spectacles incontestables
Maîtrisez l’image et la gestuelle symbolique apporte l’aura du pouvoir, tout le monde y répond. Faites le spectacle pour ceux autour de vous, ensuite disposez des symboles rayonnants qui soutiennent votre présence. Floué par les apparences, personne ne se doutera de ce que vous faites.
LOI 40 : Rejetez ce qui est gratuit.
Soyez copieux avec votre argent et faites le circuler, la générosité est un signe et un aimant du pouvoir.
Michael Jackson se présenta comme une vierge religieuse qui n'avait jamais touché à la drogue ou l'alcool, qui était un végétarien strict, un humanitaire, adorant les enfants comme personne.
Mais cette seule citation nous éclaire sur le personnage qu'il incarnait :
Personne ne connaît la vérité. Personne ne sait ce que je suis, ou qui je suis, et plus il faudra de temps pour le découvrir, plus célèbre je serai.
Sa stratégie, délibérée dès qu'il lança sa carrière solo, fut donc de naviguer sur cette étroite frontière entre le mystère qui accroît l'intérêt du public et la limite à ne pas dépasser, au-delà de laquelle le mystère devient monstrueux, choquant et repoussant.
Dès le début de sa carrière solo, Michael Jackson avait confié à son manager l'autobiographie de Phineas Barnum (le fameux promoteur de spectacles qui déclara que toute publicité est bonne à prendre) en lui disant : « Ceci va être ma bible... Je veux que ma carrière soit le plus grand spectacle sur Terre. » C'était reprendre le slogan du cirque Barnum, qui comprenait bien sûr une démonstration de freaks. Barnum était connu en outre pour ses canulars (notamment de faux monstres), et il semble que Jackson ait tenu à suivre cette tendance...
C'est ainsi que les premières rumeurs étranges courant sur son sujet furent, au milieu des années 1980, celle selon laquelle il dormait dans un caisson hyperbare, puis celle selon laquelle il aurait offert un demi-million de dollars à l'Hôpital de Londres pour racheter le squelette de John Merrick, le fameux Elephant man. Grand amateur du film éponyme de David Lynch, on peut même le voir danser avec le monstre dans un clip. On le sait, ce furent des rumeurs que Michael Jackson orcherstra lui-même. Profitant du succès de Thriller, il chercha à susciter l'intérêt du public en offrant aux médias une photo mystérieuse où on le voyait allongé dans une étrange machine, tel un cadavre d'extraterrestre dans un film de série B.
Mais pour le public, c'est l'image d'une personne mégalomane, dérangée, solitaire, inaccessible, paranoïaque et obsédée par les idées d'impureté et de contamination, inaccessible, qu'il forgea petit à petit. Le prix à payer en termes d'image pour ces canulars alla malheureusement bien au-delà des avantages publicitaires qu'ils lui valurent. Michael Jackson allait désormais être associé à quelqu'un qui fuit l'humanité, qui vit dans un monde bizarre, et que le succès et l'argent ont rendu fou.
Si la méthode a pu fonctionner à ses débuts, le jeu médiatique a fini par se retourner contre lui. Excitant la curiosité du public, tout en gardant le mystère sur sa personnalité et multipliant les coups d'éclat, Michael Jackson s'est transformé en une cible parfaite pour les tabloïds avides de rumeurs et de scandales. Le monstre qu'il a créé a fini par lui échapper. Quand il cessa de nourrir les attentes du public avec ses histoires préfabriquées, les médias commencèrent à s'inquiéter de ses comportements. Et le monstre ainsi enfanté rend les zombies de Thriller bien sympathiques en comparaison.
Michael Jackson a du reste vite compris qu'il ne pouvait plus contrôler les médias. Il confia ainsi à un reporter :
C'est peut-être pour cette raison, que les fans de Jackson, par opposition à ceux qui aiment simplement sa musique, se considèrent comme différents des fans des autres artistes. Les questions qui les consomment ont tendance à résider moins avec son talent que son sens. Obsessifs méfiants, émotionnels, souvent hostiles à ceux qui ne pensent pas comme eux, il ont vu en MJ une sorte de génie du miracle américain, comprenant la partie humaine et la partie spirituelle. Ils sont eux-mêmes les témoins de son authenticité, ils croient accomplir un devoir moral, en se considérant comme les gardiens d'un saint innocent, représentant ce qu'ils perçoivent comme étant sa valeur - la générosité, l'humilité et l'amour - dans un monde où la bonté est persécutée.
Les fans de Jackson sont liés ensemble par la conviction que, en raison de toute sa gloire et son argent, Jackson avait eu un destin et une vie pourrie. Tout d'abord, entre les mains de son père, Joe, cosmiquement impitoyable, puis des médias, et une grande partie du monde du divertissement qui l'avait également traité comme un freak show, et enfin par les autorités qui ont essayé de le mettre en prison. C'est pénible à voir, mais leur seul remède a été de l'aimer encore plus. (I Love You More).
Cette forme de culte a puisé son énergie à partir de notions de la pop culture, de la foi rédemptrice et du martyre, et Jackson l'a prouvé à travers l'évolution de son mode de vie, l'effondrement de sa carrière, ses drames personnels, desquels en toute probabilité il est mort. En fait, les «vrais croyants» de Jackson, ont compris ce qu'on attendait d'eux, et partout ils se sont réunis. Puis la fandom a explosé dans une toute nouvelle topographie.
Quand Michael a été jugé pour des accusations de pédophilie, les fans se sont mobilisés de façon impressionnante, et dans une certaine mesure, perturbante. Des milliers d'entre eux, venus de partout dans le monde, se sont rendus à Santa Maria, pour tenir des rassemblements, des veillées aux chandelles et faire des manifestations quotidiennes à l'extérieur du palais de justice. Des rassemblements similaires ont été organisés dans les centres commerciaux et les places publiques dans toute l'Amérique et même en Europe. Beaucoup d'entre eux étaient vêtus de blanc pour symboliser l'innocence de leur bien aimé, et ils ont fêté la délivrance, lorsque Jackson a été acquitté.
Mais il y a un degré de logique à cette position.
Quand Jackson a fait son discours à Oxford, il a suggéré avoir été affranchi par son expérience personnelle et le bon sens qui en découlait.
Je viens devant vous non pas comme une icône de la pop, mais en tant que représentant d'une génération qui ne sait plus ce que c'est qu'être un enfant. Ce que je voulais vraiment, c'était avoir un papa. Je voulais un père qui me montre son amour, et mon père n'a jamais fait cela. Il semblait vouloir faire de nous un succès commercial. Mais ce que je voulais vraiment c'était un papa.
Pour les vrais croyants en Jackson, ces sentiments sont plus le testament d'un caractère indiscutablement bon, qui leur permettent de nier son penchant envers les petits garçons. Et en insistant sur le fait que jamais Jackson ne les a outrés, les fans sont capables de voir leur allégeance envers lui plutôt comme une cause qu'ils défendent. Ces fans, dit Stuart Fischoff, professeur en psychologie des médias à l'Université d'état de Californie, pensent qu'ils savent qui est Michael, même s'ils ne le savent pas. Mais cela n'est pas tout à fait aussi simple, ou même aussi compliqué. Derrière l'énigme Jackson, il y avait son intelligence acérée et sa propension à manipuler. Elle lui a apporté des relations plus étroites avec sa base de fans que toute autre pop star. Les portes de son ranch Neverland, étaient ouvertes, il les invitait à regarder comment il vivait, et même à déjeuner avec lui. Il semblait avoir de bons sentiments envers eux, et allait même jusqu'à organiser des livraisons de Pizzas pour ceux qui l'attendaient patiemment dehors. Pour les fans, il n'était aucunement important, s'il n'était plus numéro un depuis longtemps, que sa fortune s'était envolée, et qu'il avait été accusé de pédophilie. Jackson, nourrissait grassement ses fans d'une imagerie à laquelle ils se sont identifiés, et avec laquelle ils ont pu jongler dans leur tête comme bon leur semblait. Mais le problème avec ce type de situation mythique est qu'une telle imagerie n'étant basée que sur ce qu'elle projette et véhicule, était utilisée par Jackson dans le seul but de maintenir l'intérêt de ses fans. Il avait grand besoin de ses admirateurs pour continuer ce qu'il avait entrepris. C'est à dire gagner de l'argent dont il a profité allègrement. C'est ainsi qu'à force de faux semblants il est resté le Bambi, la blanche colombe de la pop. Et cela n'a pas changé après sa mort. Mémoire oblige !
Ce que je peux ajouter aussi, c'est que l'héritage de Jackson imite celui d'Elvis Presley. Elvis avait seulement 42 ans quand il est mort dans sa maison de Memphis, le 16 Août 1977. Comme celle de Jackson sa carrière était en lambeaux, les regards s'étaient détournés, et ses talents s'étaient perdus dans la brume du ridicule et de la condescendance Kitsch. Aujourd'hui vénéré comme un saint virtuel, Elvis est devenu partie intégrante de l'iconographie de la culture américaine dominante, plus intéressant que jamais il ne l'avait été dans la vie.
Je finirai comme Elvis !
Comment expliquer cet engouement ?
Dans son ouvrage The Political Mind, le linguiste George Lakoff estime que les stars «se substituent aux dieux et aux héros de légende» et répondent à un besoin de narration et d'ascension sociale. Comme si les destins exceptionnels de certaines célébrités correspondaient à certains scénarios ancestraux, tel celui du fils prodigue, répété à l'envi par les people tombant dans la drogue, la violence, et les relations perverses.
Michael Jackson, avait certes du talent. Mais cela ne suffit pas non plus à expliquer son succès mondial. Il était tout à la fois : blanc, noir, homme, femme, petit garçon, fille, jeune, vieux. Il agrégeait donc la totalité de l’être humain en lui. Quel personnage fascinant n'est-ce pas ? Mais c'est également de cette façon qu'il a touché tout le monde et notamment les plus fragiles puisque le grand moteur de la célébrité est toujours l'identification, qui va permettre d'incorporer la star, c'est à dire d'intérioriser de manière archaïque son pouvoir et sa puissance. (Le rite de la communion, au moyen de l'hostie que l'on ingère durant la messe et qui symbolise le corps du Christ, répond au même processus : On devient semblable à l'objet que l'on mange). Imaginez ! Lorsque l'on en arrive là, la véritable communication interpersonnelle se trouve alors empêchée, et cette déformation perceptuelle grève le développement de la connaissance et du savoir humain, qui ne peut s'affranchir de cette méconnaissance fondamentale, et de cette distorsion.
Les fans ont donc des ressentis en eux dont ils ne peuvent prendre conscience. Ils se sont en quelque sorte dépersonnalisés, face à un être qu'ils ne connaissaient pas, et qu'ils ont perçu seulement à travers le média le plus trompeur qui soit, c'est à dire Jackson lui-même, et pour lequel ils ont compté sûrement autant qu'un petit dollar dans la somme de toutes ses rentrées d'argent. Depuis sa mort, ce comportement répond à un passage à l'acte tourné sur soi puisque c'est une façon d'exprimer la perte symbolique d'être aimé, et non pas celle d'un être aimé.
Nous, les fans, nous devons comprendre son message et le poursuivre, on doit être comme lui et non pas lui ressembler seulement par les vêtements, la danse, etc....Bref, les Fans de Jackson se sont transformés en Armée du Salut ou, mieux encore, en bande d’apôtres, qui répandent énormément de désinformation sur MJ, en utilisant leurs propres histoires, régies par la loi de leurs désirs, en imposant un discours hautement captateur déniant la réalité. Comme le fit Michael Jackson lui-même.
Jackson pourrait rentrer dans le Panthéon des imposteurs, il en avait tous les critères de noblesse, l'arnaque a été monumentale ; elle s'est étalée sur des décennies, et il reste le pédophile le plus aimé au monde : Chapeau l'artiste !
Le fanatisme naît là où un génie s’entoure de beaucoup d’idiots.