10 Mars 2017
Le réalisateur du short film se souvient du tournage de cette scène: "J'ai réalisé tellement de clips que plus grand chose ne m'étonne. Chaque chose a son caractère spécial. Mais celle qui reste au sommet du classement est le clip You Are Not Alone de Michael Jackson. Nous avions prévu tous les éléments pour le clip et d'un coup Michael a eu cette idée d'utiliser une ambiance classique proche des tableaux et des scènes grecques. Et il voulait apparaître nu avec sa femme, Lisa Marie Presley. Comme s'ils étaient des dieux grecs.
Ce que les stars semblent avoir en commun, c'est la disposition naturelle à réveiller des émois primitifs chez leur public. Dès 1895, Gustave le Bon désignait cette qualité par les mots «prestige inné». Max Weber, fondateur de la sociologie, lui préféra le terme «charisme», dérivé de Charis, la déesse qui incarnait la beauté, la perfection (du Grec Kharisma, «faveur» ou «don» d'origine divine) Les Romains appelaient facilitas le pouvoir charismatique du héros et estimaient également qu'il était conféré par les dieux. Dans la religion chrétienne, et notamment selon Saint Paul, le charisme est encore une fois considéré comme un don de Dieu sous la forme du Saint-Esprit. Le charisme, écrit Max Weber, est «la qualité extraordinaire [....] d'un personnage, qui est doué de forces ou de caractères surnaturels ou surhumains [....] ou encore, qui est considéré comme envoyé par Dieu». C'est le début d'une longue série d'affinités entre la religion et la célébrité. Weber parle de trois personnages charismatiques : le chaman, le prophète et le politicien. Il faudrait en ajouter un autre, la star.
Dans une série d'articles et d'ouvrages publiés au cours des années 1970, soit presque un siècle après Weber, le psychanalyste américain Heinz Kohut reprend cette idée. Il étudie notamment la figure du «leader charismatique». Quand il entreprend ses recherches sur les troubles du narcissisme, il remarque assez tôt des similitudes entre certains de ses patients et les leaders charismatiques évoqués par Max Weber.
Face à une célébrité, les spectateurs se sentent souvent excités ou bouleversés intérieurement. Cet étrange pouvoir leur permet de provoquer un mouvement de régression psychique chez celui ou celle qui les contemple. Napoléon empereur avait cette capacité d'emmener toute une armée se faire tuer en son nom. Mais il semblerait que, dès le début de sa carrière militaire, alors qu'il était encore inconnu, Bonaparte possédait déjà ce don de commander les généraux les plus retors. Face à un leader charismatique, la foule peut se sentir pleine de forces et de fierté ou bien faible et dépendante. C'est pour cela que l'on compte parmi eux des individus aussi héroïques que Churchill et aussi destructeurs que Hitler. Les stars pourront être les deux à la fois. Le leadership peut être une source d'inspiration magnifique ou un outil funeste et aliénant.
De la même manière, les stars hypnotisent leurs spectateurs et rendent la foule euphorique. Leur charme leur confère le pouvoir de faire éprouver des émotions particulièrement fortes, des passions d'ordre sexuel, d'amour ou de haine. On pourrait dire que les stars se branchent sur les inconscients qui les approchent, dans un flux direct d'énergie sexuelle. Par leur capacité à fasciner et à manipuler l'excitation et la libido, ils font appel aux sentiments inconscients de leur public. Il y a fort à parier que cette capacité est d'ailleurs en grande partie inconsciente, ce qui induit chez le spectateur cette dimension mystérieuse de l'attrait, difficile à décrire autrement que comme une vague de vives émotions venant d'on ne sait où. «Moi je voulais devenir le symbole vivant du sexe», avoue en toute franchise et pleine conscience Iggy Pop. Comme la star se situe dans le registre de l'art et du jeu, les mécanismes primitifs et infantiles existant chez les spectateurs sont mobilisés.
La naissance d'une star peut-être une immense déflagration. En reliant le charisme à l'extase, Weber avait déjà mis en lumière la libération sociale, psychologique et économique provoquée par ces «êtres au-delà de la raison et de la maîtrise de soi». Le leader est un modèle de libération proche du divin, qui rend possible la liberté. Il est par définition transgression.
En somme, le charisme est une puissance spirituelle révolutionnaire. Cette énergie, cette attractivité insensée, a l'odeur du sexe. La part dionysiaque du charisme est primordiale. Comme les ménades grecques qui accompagnent Dionysos dans ses bacchanales, qui personnifient l'esprit orgiaque du monde. Le processus charismatique est avant tout un mécanisme d'excitation émotionnelle et sexuelle.
Véritables philtres d'amour, les stars ont une forte composante sexuelle. Une force de séduction incommensurable jaillit d'un corps, une décharge sexuelle sans précédent. Les premiers titres d'Elvis, moites comme un soir au bord du Mississipi, l'odeur de soufre de (I Can't Get No Satisfaction) des Stones, (You Are Not Alone, ou In The Closet ..etc..) de Michael Jackson) agissent comme de puissantes phéromones. Cette énergie se voit, se sent, se communique. Les regards sont happés. les corps entrent en transe. Pas de célébrité sans une surcharge de stupre. Dès ses premiers succès, Dean Martin semblait déjà tenir sous son emprise les femmes venues l'applaudir : Il est vrai que son business, c'était l'amour et les chansons Italiennes.
Le début de l'année 1955 est décisif pour Elvis Presley. Le rock'n roll n'existe pas encore. Il chante dans des festivals country et on le qualifie de chanteur à la mode hillbilly.«C'est la nouvelle fureur», annoncent les radios. Les ventes de disques croissent sans cesse, les disc-jockeys passent et repassent ses chansons, et les rendez-vous à travers le pays se multiplient. Lui qui n'était jamais sorti de l'Arkansas exerce sur scène, signe avant-coureur de sa future célébrité, une attraction étonnante sur le public féminin. Les grands-mères dansent. Il arrive qu'une fille et sa mère rivalisent ouvertement pour attirer son attention. «Quand il chantait, tout le monde avait la même réaction primitive, presque viscérale» ( Peter Guralnick, Elvis Presley, Last Train to Memphis; le temps de l'innocence (1935-1958), Le Castor astral, 2007.2. Ibid) Reste à prouver qu'avec cinquante personnes ou avec un stade entier l'effet serait identique. En tournée, partout où il se rend, il fait sensation. Un spectateur rapporte éberlué : «il portait un pantalon rouge et une veste verte. Il est resté planté là avec sa moue pendant cinq minutes. (Michael Jackson a repris ce bon vieux truc...) Puis il a plaqué un accord et il a cassé deux cordes. (Jackson a simplement jeté ses lunettes) Il n'avait encore rien fait que les filles hurlaient déjà.» C'est en mai 1955 à Jacksonville, en Floride, face à 14 000 personnes, que se produit la première véritable émeute. Et Elvis y est pour beaucoup, car le voilà qui annonce en fin de concert :«les filles, je vous retrouve en coulisses !»
Pour les femmes, même constat ! Madonna, par sa personnalité franche et délurée, incarne une certaine image de la femme des années 1980. Au début de sa gloire, elle se rend au tout premier MTV Music Awards à New-York, sorte de cérémonie des Oscars et des Grammy Awards dédiée aux clips vidéo, qui est dorénavant une institution. Il est prévu qu'elle ouvre la cérémonie en sortant d'un gâteau de mariage-surprise et en chantant son Like a Virgin, vêtue d'une robe de mariée dont la ceinture porte l'inscription «Boy-Toy». Ce qui n'était pas prévu, c'est qu'elle se mette à se rouler par terre en se tordant de plaisir, la tignasse hirsute et les yeux révulsés. Le numéro jette autour d'elle une puissante aura d'érotisme, et ce qui se joue ce soir de septembre sera décisif pour la suite. À la sortie, «les gamins se pressaient pour apercevoir Madonna qui les regardait, complètement hébétée...Elle savait qu'elle deviendrait célèbre, mais pas si vite et pas à ce point là »...Depuis, la provocation est devenue un label.