9 Août 2019
Au sommet de sa gloire, dans les années 80, PRINCE n'admettait pas qu'on ose lui parler. «Quand les gens lui parlaient en boite, il ne répondait pas», se souvient Éric Dahan, chroniqueur des nuits parisiennes. Pour communiquer il passait alors par ses assistants. Guy Cuevas peut en témoigner....La première fois qu'il a rencontré Prince, c'était au Palace, dont il était le DJ - ou plutôt le metteur en scène -, en 1980. C'est dans cet ancien théâtre des Grands Boulevards que la star américaine, vêtue d'un perfecto en cuir, d'un porte-jarretelles et d'un string, a fait son premier concert à Paris. Très provocateur, il ne souriait jamais. «Quelques années plus tard, il m'a demandé de jouer un garde du corps dans son film Under The Cherry Moon, raconte Guy. Il était infernal, jamais content de rien, mais il se s'adressait à personne directement. Quand j'étais en face de lui et qu'il voulait me dire quelque chose, il parlait à son assistante», se souvient-il. Le tournage avait lieu à Nice. C'était en 1985, juste après le succès de Purple Rain. «Dans sa chambre d'hôtel, tout devait être mauve ou violet. Il marchait toujours entre six gardes du corps vers sa Cadillac intérieur mauve, vêtu de mauve, en talons couverts de strass. Ce n'était pas de très bon goût ! Il voulait toujours être entouré d'une constellation de filles interchangeables pour prouver qu'il était hétéro».
Muses, girlfriends, chanteuses....Portrait des femmes de sa vie, PAR VINCENT BRUNNER (LesInrocks2 hors série) :
Cela n'est pas une coïncidence si le sujet a inspiré à Prince une mélodie parmi ses plus pures et collantes (l'inconvénient de la guimauve), celle de «The Most Beautiful Girl in the World».
Dans son parcours et son oeuvre, les femmes jouent un rôle déterminant, celui de muses et d'indispensables compagnes. C'est auprès d'elles qu'il a de tout temps trouvé l'inspiration, qu'elle soit romantique et virginale ou bien plus charnelle et perverse. A l'époque où il publie en single The Most Beautiful Girl in the World, au milieu des année 1990, Prince roucoule avec la danseuse Mayte Garcia, sa future épouse, et la chanson lui est naturellement adressée.
Mais Prince a eu tellement de femmes dans sa vie (même Kim Basinger, à l'époque de Batman, ou ...Ophélie Winter) que l'on est obligé d'adopter une autre lecture du morceau.
Son véritable sujet : la femme de ses rêves, la compagne idéale dont ce séducteur un brin volage semble avoir sans cesse dressé le portrait. Et s'il est parti à sa recherche, ça n'a pas été seulement pour des raisons sentimentales et sexuelles. Car la femme de sa vie doit aussi être une artiste - Pas vraiment son égale - ça serait trop inconfortable pour son ego -, plutôt sa marionnette, une poupée prête à exaucer tous ses caprices. Ce démiurge macho aime composer pour ses chanteuses, mais il ne supporte pas trop qu'elles lui résistent.
Une des premières que Prince a attirées dans ses filets est un sculptural mannequin métis, la Canadienne Denise Matthews.
Apprenant que celle-ci rêve de chanter, il projette aussitôt de monter autour d'elle un sulfureux et sexy girl group. Afin de mieux vendre sa future création, il propose à Denise de la rebaptiser....Vagina. Celle-ci refuse, et les deux finissent par se mettre d'accord sur Vanity*. Pour l'accompagner, Prince recrute deux de ses petites amies régulières, Susan Moonsie, et Brenda Bennett, les seules dotées d'une véritable voix.
Après avoir envisagé d'appeler le groupe, The Hookers (oui, «les putes»), Prince se rabat sur le plus sage Vanity 6. Pourquoi 6 et pas 3 ? Parce que (attention, gag potache) il s'agit du nombre de seins du trio.
En 1982, le premier album de Vanity 6 se lance à l'assaut des charts, vrai paquet cadeau sortant tout droit d'un sex-shop.
Le public est carrément émoustillé par le tube dansant Nasty Girl. Mais les paroles explicites «I need seven inches or more», soit grosso modo, «j'ai besoin de vingt centimètres», mettent en panique les programmateurs radio généralistes, ce qui condamne l'album à devenir un objet culte.
Ça n'empêche pas Vanity de devenir la girlfriend officielle de Prince, celle qu'il impose à ses côtés en couverture de Rolling Stone en avril 1983. En plus d'écrire des chansons pour le deuxième album de Vanity, le chanteur compte bien la voir jouer le rôle féminin principal du film Purple Rain. Mais des divergences autant professionnelles que sentimentales provoquent leur rupture juste avant le tournage.
Prince ne se laisse pas abattre, organise un casting et trouve la remplaçante de Vanity : Patricia Apollinia Kotero.
Répondant désormais au nom d'Apollonia, elle occupa la place laissée vacante dans Vanity 6.
Logiquement renommée...Apollonia 6.
Pour autant, Prince ne croit pas que Kotero possède un quelconque talent de chanteuse. Au moment de la sortie du film Purple Rain, Apollonia 6 a certes droit à son propre album, mais Prince garde ses meilleures chansons pour d'autres. Comme Manic Monday, tube enregistré avec Apollonia mais qu'il préfère livrer clés en main aux Bangles, dont il est sérieusement entiché.
Il aurait d'ailleurs fait la cour à Susanna Hoffs, une des trois Bangles. Une rumeur prétend même qu'il aurait marchandé Manic Monday contre une nuit avec elle. De son côté, Apollonia, après son incursion éclair dans le harem de Prince, retrouve vite son indépendance. L'absence de sentiments entre les deux facilite son départ. De toute façon, le coeur de Prince n'est - à l'époque - plus vraiment à prendre.
Depuis le printemps 1983, la guitariste Wendy Melvoin accompagne Prince et, avec la pianiste Lisa Coleman, constitue un des piliers de son groupe.
The Revolution. Justement, en rendant visite aux deux jeunes femmes - qui sont colocataires et amantes -, Prince fait la connaissance de Susannah, la jumelle de Wendy, belle brune de 19 ans.
Il craque totalement pour elle, et même pour sa voix. Il persuade ainsi Susannah de faire partie de The Familly, groupe qu'il monte de toutes pièces autour d'anciens de The Time. S'échelonnant sur deux années - 1984 - 1986 -, leur liaison, passée tout près des fiançailles, connaît de multiples sorties de route. L'un de ces incidents souffle à Prince la mélodie et les paroles de Nothing Compares 2 U, perle de l'album de The Family, popularisée plus tard par Sinéad O'Connor. Et si on la compile avec les autres chansons inspirées directement par Susannah - Strange Relationship, if I Was Your Girlfriend, The Beautiful Ones - on obtient un beau bouquet empreint de mélancolie et d'un romantisme quasi désespéré. Aie, Prince découvre que l'amour fait mal....Fin décembre 1986, juste après leur séparation, il enregistre même une chanson si douloureuse, Wally, qu'il préfère l'effacer aussitôt. Quelques mois plus tard, paraît Sign o'the Times, album où Susannah est très présente, dans les paroles de Starfish and Coffee, lors de la géniale version Live d'It's Gonna Be a beautiful Night et dans les remerciements - à la première place.
Même s'il a connu un gros chagrin d'amour, Prince n'est pas du genre à s’effondrer - Trop fier pour ça! Et, autour de lui, il a tellement de jeunes femmes auprès de qui se consoler. Parmi ses protégées, on trouve ainsi Jill Jones, chanteuse de caractère et girlfriend occasionnelle - assez longtemps pour inspirer à Prince She's Always in My Hair. Après être apparue dans plusieurs clips et avoir donné de la voix de-ci, de -là, Jill a droit en 1987 à son propre album. De l'excellente pop grand public qui a pourtant raté sa cible.
Contrairement à The Glamorous Life, composé sur mesure pour Sheila E. Car si, on l'a vu, Prince aime mélanger travail et sentiments, quelques exemples font figure d'exception à cette règle de vie.
Le cas le plus fameux : l'amitié musicale qui lie Prince à la batteuse et percussionniste Sheila Escovedo. Après l'avoir vue en concert à la fin des 70's, Prince tombe en pamoison devant son sens du rythme...et aussi de son charme - on ne le refera pas.
En 1984, il la convainc de chanter avec lui sur Erotic City, morceau hot à la hauteur de son intitulé, puis de s'assumer en tant que chanteuse. Le résultat, The Glamorous Life (1984), taillé sur mesure par Prince, va lancer sa carrière solo. Un deuxième album, Romance 1600, avec le duo A Love Bizarre suivra et, depuis, Sheila E. a fréquemment accompagné Prince en tournée.
Pendants le 80's, décennie dont il partage le trône de King of Pop avec Jackson, les collaborations que Prince entreprend avec ses muses successives ne sont pas forcément couronnées de succès. Mais au moins, elles présentent un minimum d'intérêt.
À partir des 90's, ça se complique nettement. Prince appose toujours son empreinte sur les productions de ses protégées, mais, comme il est moins en phase avec le marché pop, sa griffe perd de son tranchant. Avec l'album I Am [1990], Elisa Fiorillo s'en tire plutôt bien, comme la poétesse Ingrid Chavez avec May 19,1992 [1991]. Martika a, elle, obtenu un gros hit international avec la belle ballade soul Love...Thy Will Be Done.
Leur point commun : elles mènent leur carrière sans dépendre de Prince ni appartenir à son premier cercle. Oui, il arrive au démiurge d'offrir une chanson à une collègue sans qu'elle ait besoin de lui pour exister. Comme Céline Dion ! pour qui Prince écrit With This Tear en 1992 sur le deuxième album en anglais de la Canadienne.
Chanter du Prince sans en pâtir ?
Beaucoup de ses interprètes n'ont pas eu cette chance. Elle aussi de Minneapolis, la chanteuse blues-rock Margie Cox fréquente assidûment les studios de Paisley Park, à l'invitation du maître des lieux. Pour un résultat quasi nul : son album solo s'est ajouté à tous les projets mort-nés dont les archives de Prince sont remplies.
Tara Leigh Patrick s'en est à peine mieux tirée. Dès leur rencontre, Prince la voit faire une carrière de rappeuse et conçoit pour elle un album de hip-hop dance. Celui-ci s'avère tellement calamiteux et peu convaincant qu'il marque directement la fin de sa carrière de chanteuse. Le seul bénéfice qu'elle gardera de l'expérience : le pseudonyme dont Prince l'a gratifiée, Carmen Electra.
Invitée à Minneapolis après que Prince l'aie vu danser sur cassette, Mayte Garcia va connaître un destin plus tragique - et pas sur le plan artistique. Enrôlée comme danseuse du ventre sur la tournée Diamonds and Pearls alors qu'elle a 18 ans, elle devient l'égérie de Prince à la place de Nona Gaye - oui, la fille de Marvin Gaye - que Prince avait prise sous son aile. Du coup, vu qu'il a enregistré un duo avec Nona (Love Sign), il force gentiment Mayte à enregistrer un album, le pénible Child of the Sun. Le jour de la Saint-Valentin 1996, les deux tourtereaux se marient - une union justifiée par une passion plus que millénaire : ils se seraient connus lors d'une autre vie, à l'époque de l'Égypte ancienne. Mayte tombe enceinte mais, malheureusement, leur fils Boy Gregory, atteint d'une maladie génétique rare, ne survit qu'une semaine.
Prince assure la promo d'Emancipation, le triple album de la délivrance d'avec Warner tout juste mis sur le marché, mais son couple ne se remettra jamais de cette perte cruelle. Le mariage est même annulé en 1998.
Trois ans plus tard, Prince se marie pour la deuxième fois avec Manuela Testolini, une employée de Paisley Park. Pour la seule fois de son existence, Prince se lie avec une femme sans avoir le désir de la métamorphoser en chanteuse. Aux projecteurs, Manuela préfère le caritatif...et demande le divorce en 2006. Prince la remplace rapidement dans son coeur. La nouvelle élue s'appelle Bria Valente et a droit à son honnête album de R&B, Elixir [2009]. «On en a eu marre d'attendre Sade», lance Prince pour vendre leur Elixir. Pendant qu'ils sont en couple, Bria rejoint Prince chez les Témoins de Jéhovah. Après leur séparation, Prince a retrouvé de la vigueur au contact des trois membres de 3rdEyeGirl, un trio de rockeuses.
En 2010, pour un concert au Bus Palladium à Paris, Prince exige qu'il n'y ait aucune fille dénudée dans un périmètre de 20 mètres. «Il nous a aussi demandé de refaire les marches d'accès à la scène car il les trouvait trop hautes», se souvient Cyril Bodin, directeur artistique de la salle. Prince, 1.60 m, n'a pas dû trouver les nouvelles marches assez basses : Il a finalement donné son concert au New Morning ce soir-là. Laurent Saulnier, programmateur du festival de Jazz de Montréal, se souvient bien de l'édition 2011 où il a reçu Prince : «Avant d'arriver, il a fait envoyer la couleur Pantone exacte du pourpre pour sa loge. Ça peut sembler extravagant mail il était là quatre jours alors ça m'a paru normal, j'ai fait repeindre la pièce». En tournée en Angleterre en 2014, les hôtels où il séjournait ne devaient pas avoir d'escalier. Et il ne voulait surtout pas voir la moindre photo ou peinture d'animaux dans les loges.
Même s'il préférait la compagnie des femmes, Prince a su s'entourer de musiciens et managers de premier plan, comme entre autres : Jesse Johnson (guitariste) - Larry Graham (bassiste) - Tommy Barbarella (claviériste) - John Blackwell (batteur) - Renato Neto (pianiste) - Alan et Eric Leeds deux piliers de l'édifice princier ; Alan : tour manager et Eric (saxophoniste) - Bob Cavallo &Cie : Pour que le monde prenne connaissance de son génie, il a bien fallu que Prince s'en remette à des managers. Au début de sa carrière, ce rôle a été tenu par Bob Cavallo et Joe Ruffalo, deux employés de Warner qui furent ensuite rejoints par Steven Fargnoli. La Spaghetti Inc...comme le trio se surnommait, a joué un rôle considérable dans l'accession de Prince au rang de star mondiale. Après tant de déboires avec le business, ce dernier lui aurait d'ailleurs gardé reconnaissance et respect.
Vanity* est décédée en février 2016 et le Kid de Minneapolis, de son vrai nom Prince Rogers Nelson s'est éteint le jeudi 21 avril 2016 à l'âge de 57 ans.
Dans la terminologie religieuse dont les Américains sont friands, il a souvent été caractérisé comme un être «chéri des dieux», Amadeus moderne, Jésus-Christ et superstar. Il fut en tout cas une incroyable machine à entendre, composer, jouer et enregistrer.