18 Août 2019
De tout temps, l'homme éprouva le besoin de raconter des histoires au moyen d'images. Déjà, cent trente siècles avant J.C., quelques-uns de nos ancêtres de l'époque magdalénienne, représentaient sur les parois de la grotte de LASCAUX leur combat quotidien contres les bêtes sauvages.
Dix mille ans après eux, les Égyptiens couvraient de dessins et d'hiéroglyphes les murs des temples de leurs dieux et des tombeaux de leurs pharaons.
Plus près de nous, en 1077, la douce reine MATHILDE finissait de broder sur une toile longue de 70.34 m et haute de 0.50 m le récit des exploits de son Conquérant époux, Guillaume 1er, duc de Normandie qui, en 1066, était monté sur le trône d'Angleterre.
Vers la fin du XIXe quelques créateurs géniaux entreprirent de raconter des histoires en images. Mais, ce n'étaient pas là de vraies Bandes Dessinées puisqu'il leur manquait cet élément essentiel à la B.D qu'on nomme la bulle ou, plus scientifiquement le phylactère qui fait la B.D, plus sûrement que l'habit fait le moine.
Le mot existe depuis la nuit des temps. C'était à l'origine un porte-bonheur, un étui que les juifs pratiquants portaient toujours sur eux et à l'intérieur duquel ils glissaient un morceau de parchemin sur lequel ils avaient écrit un verset de la Torah. Au moyen Age, on appelait phylactère une banderole que les peintres ou les maîtres verriers dessinaient au-dessus des Saints Personnages qu'ils représentaient et dans laquelle ils inscrivaient une phrase attribuée aux dits personnages.
Cette origine religieuse et savante de leurs bulles n'est sûrement pas pour déplaire aux fervents adeptes de la B.D.
LES ANCÊTRES DE LA B.D
◄ CARAN D'ACHE (1859-1909) ce dessinateur né à Moscou se nommait en réalité EMMANUEL POIRÉ. Il avait choisi son pseudonyme d'après le mot KARANDASH qui signifie «crayon» en russe. Il est connu pour ses dessins nationalistes et anti-dreyfusards.
◄ CHRISTOPHE (1856 -1945) était, sous son véritable nom de Georges COLOMB, le très sérieux sous-directeur du laboratoire de botanique à la Sorbonne. Pour amuser les enfants, il imaginait les Aventures du Sapeur Camember, du Savant Cosinus et de la famille Fenouillard, qu'il signait Christophe (parce que Christophe...Colomb....Ah, Ah, Ah ! )
◄ BEJAMIN RABIER (1864-1939) est le père de Gédéon, un canard français presque aussi célèbre que son confrère américain Donald.
Mais pour l'historien de la B.D, les oeuvres de ces ancêtres n'étaient que balbutiements. Il leur manquait encore la fameuse bulle.
LA B.D AUX ÉTATS-UNIS
♦ La bande dessinée est née aux États-Unis. Elle est un phénomène directement lié à la presse et qui s'est développé avec elle. La naissance officielle de la bande dessinée remonte à 1896, avec THE YELLOW KID (le gamin jaune) créé par OUTCAULT.
A cette époque, deux journaux se livraient une guerre acharnée : Le New York World de Joseph PULITZER et le Morning Journal de William Randolph HEARST.
C'est dans le New York World que parut pour la première fois un feuilleton en couleur relatant les aventures d'un gamin aux traits chinois qu'on baptisa YELLOW KID. Immédiatement, le journal concurrent allait contre-attaquer et les créations se succéder à un rythme d'enfer.
LA B.D EN FRANCE
♦ Comment prononcer en France le mot «image», sans évoquer aussitôt «les images d'ÉPINAL» qui naquirent en 1825 dans l'imprimerie PELLERIN. D'un dessin naïf, souvent patriotique et toujours moralisatrice, l'image d'Épinal était vendue en feuilles uniques par les colporteurs. Elle connut un succès éclatant pendant tout le XIXe.
♦ En 1889, l'éditeur ARMAND COLIN lance le Petit illustré français, un journal qui offrait la particularité de présenter chaque semaine sur une double page une histoire en image. Ce journal publia les aventures de LA FAMILLE FENOUILLARD et du SAPEUR CAMEMBER de CHRISTOPHE.
♦ 1905 : Naissance de La Semaine de Suzette où, dès le numéro 1, apparaît BÉCASSINE, l'immortelle héroïne de Joseph Porphyre PINCHON. Son succès incita un éditeur concurrent à publier un journal destiné également aux jeunes filles et ce fut «Fillette» dans lequel paraîtra une histoire qui connaîtra pendant des années un véritable triomphe : LES MILLE ET UN TOUR DE L’ESPIÈGLE LILI imaginée par JO WALLE et dessinée par A.VALLET.
Toutes ces parutions étaient trop sages au goût des cinq frères OFFENSTADT qui décidèrent de lancer des journaux plus populaires. Après le Petit illustré, ils firent paraître l'Épatant le 9 avril 1908. Dès son numéro 9, le journal publiait la série en images qui allait assurer sa gloire et consacrer le nom de son auteur : LES PIEDS NICKELÉS de Louis FORTON.
♦ 3 mai 1925 : voici la date historique que doit connaître tout amateur de B.D. C'est celle de la parution du n°114 du journal : Le Dimanche illustré. Afin de remplacer à la dernière minute une publicité, on cherche un bouche-trou. Ce sera le premier épisode de la première véritable bande dessinée française : ZIG ET PUCE veulent aller en Amérique - d'Alain SAINT-OGAN.
En 1929, Paul WINKLER, un journaliste d'origine hongroise fonde l'agence de presse OPERA MUNDI qui représentera en France le King Feature Syndicate, le plus grand producteur de B.D, aux USA.
♦ Comme la plupart des journaux de l'époque se font tirer l'oreille pour publier des histoires en images, Winkler en est réduit à créer son propre journal. Avec l'autorisation de WALT DISNEY qui a inventé MICKEY en 1929, il sortira le 21 octobre 1934 le premier numéro du Journal de Mickey. Ce sera un succès prodigieux qui dure encore aujourd'hui.
Paul Winkler consolidera cet engouement pour la B.D. américaine en faisant paraître en 1936 Robinson et Hop-la en 1937. Le public français fait ses délices de MANDRAKE, du FANTÔME, de JIM LA JUNGLE, de GUY L'ÉCLAIR (Flash Gordon), de BRICK BRADFORD et de l'AGENT SECRET X9.
La première B.D. française quotidienne est apparue en 1934. Ce sont les AVENTURES DU PROFESSEUR NIMBUS de A.DAIX.
LA B.D. EN BELGIQUE
♦ L'histoire de la B.D. en Belgique, puis dans le monde, est dominée par la personnalité d'HERGÉ. Né le 22 mai 1907, GEORGES RÉMI publie ses premiers dessins dans une petite feuille de chou - tout étonnée d'être entrée dans la légende - le Boy Scout belge, en février 1924. C'est dans ce même journal qu'il publiera la première bande dessinée belge TOTOR, C.P.DES HANNETONS à partir de juillet 1926 et jusqu'en 1929 TOTOR annonce déjà TINTIN.
HERGÉ entre ensuite, en 1927, au quotidien belge Le Vingtième Siècle. Les dirigeants du journal ont la bonne idée de lui confier un supplément pour les jeunes. Une grande page qui, une fois pliée, forme un petit journal de 8 pages - Le petit vingtième. Le premier numéro paraît le 1er novembre 1928. HERGÉ commence à faire publier TINTIN AU PAYS DES SOVIETS.
Le jeune reporter TINTIN ne connaîtra plus désormais un instant de repos. Il découvrira le Congo (1930), l'Amérique (1931), l'Orient avec LES CIGARES DU PHARAON (1932), l'Extrême-Orient dans LE LOTUS BLEU (1934), l'Amérique du sud avec L'OREILLE CASSÉE (1935), l'Angleterre et l'Écosse dans L'ÎLE NOIRE (1937), l'imaginaire royaume de Syldavie avec LE SCEPTRE D'OTTOKAR (1938), la série de L'OR NOIR qui conduisit TINTIN dans les Emirats arabes sera interrompue par l'invasion allemande au bas de la planche 56. Le Vingtième Siècle ayant cessé de paraître le 8 mai 1940, les lecteurs devront patienter plus de huit ans avant de connaître la suite : le 28 octobre 1948. L'OR NOIR paraîtra, mais dans l'hebdomadaire Tintin, cette fois.
TINTIN qui a eu 90 ans en janvier 2019, a été vendu à 250 millions d'exemplaires, traduit en 120 langues et adapté au cinéma par Steven Spielberg, Tintin met en scène des expressions inoubliables dont «Mille milliards de mille sabords !» désormais gravées dans l'imaginaire collectif.
Tout fan du personnage de «Tintin» est un Tintinophile, mais on nomme «tintinologue» tout spécialiste des albums de Tintin et de la saga Tinitinienne ...voire même de Tintinolâtre pour les inconditionnels allant même jusqu'au fanatisme !
Autre grand journal de B.D. : Spirou, lancé par l'éditeur belge Jean Dupuis, voit le jour le 21 avril 1938. C'est le dessinateur français Robert Velter (ROB-VEL) qui est chargé de créer le personnage de SPIROU (en wallon, un «Spirou» est un gamin déluré) qui travaille comme groom au Moustic-Hôtel. Mobilisé en 1939, Velter confie à sa femme Davine le soin de continuer la série. Après elle, le personnage passera aux mains de Gillain (JIJE), de franquin et de Fournier, puis de Yoann.
Fin 1948, en Amérique, René GOSCINNY, trouve par l'intermédiaire d'un ami français un travail dans une agence de publicité. Il y rencontre Harvey Kurtzman, futur fondateur du magazine Mad, John Severin, et Will Elder. L'année suivante il publie son premier livre intitulé Playtime Stories aux éditions Kunen Publishers. Il s'agit d'un livre animé pour enfants de douze pages où il signe trois histoires : Robin Hood, Pinocchio et Aladin. Avec l'argent gagné, il part en vacances à Paris. Sur le bateau du retour il rencontre un Français, qui lui apprend qu'un auteur belge de B.D, Gillain (JIJE), est installé dans le Connecticut. C'est par l'intermédiaire de Jijé qu'il rencontre Morris, élève de ce dernier et auteur de la série Lucky Luke. Morris et Goscinny deviennent très vite amis et partent à New-York. Goscinny n'a pas le même talent pour le dessin que les précédents élèves de Jijé, Morris ou André Franquin, mais Jijé s'intéresse à son sens du gag et des mots, qualité qui manque beaucoup aux auteurs de B.D. européens. Goscinny sort quatre livres pour enfants intitulés : The Little Red Car, Jolly Jungle, hello Jimmy, Round the World qui lui donnent l'occasion de faire des dessins compliqués.
Le 6 septembre 1956, Goscinny est contacté par André Fernez, le rédacteur en chef du Journal de Tintin. Ce dernier a en effet entendu parler de la «réputation de scénariste et d'humoriste» de Goscinny et souhaite travailler avec lui pour redonner au journal la pointe d'humour qui lui manque pour rivaliser avec le Journal Spirou. L'auteur démarre alors une fructueuse collaboration avec le Journal de Tintin et collabore avec des nombreux auteurs. Parallèlement, il rédige pour Jours de France le scénario et les gags des Aventures du docteur Gaudeamus, dessinées par Coq. Cette série destinée aux adultes lui permet de brocarder avec humour le snobisme parisien.
En 1959, les éditions Édifrance/Édipresse lancent le magazine Pilote. Dans la première édition, il lance, avec Albert Uderzo, son collaborateur de «besogne de la futilité», sa plus fameuse création, ASTÉRIX, dont les noms des deux héros trouvent leur origine dans l'atelier typographique de son grand-père maternel : astérisque et obèle. Il fait de Pilote un magazine pour adolescents, publiant des bandes dessinées plus inventives et libérées que celles de la presse pour enfants. Il reprend également l'écriture du Petit Nicolas de Jehan Pistolet, maintenant appelé Jehan Soupolet.
Avec le succès d'Astérix, René Goscinny a réussi à faire reconnaître le métier de scénariste de B.D. et il en était fier. «Lorsque nous avons débuté, il n'était pas question de gagner sa vie en faisant ce métier. On me regardait bizarrement et on me disait : «Mais quel est votre VRAI métier ? C'est impossible que vous vous occupiez de mettre des lettres dans des ballons !» Heureusement, j'ai de l'amour propre mais aucun sens de la dignité».
Durant toutes ces années passées à Pilote, il a permis de révéler au grand public un certain nombre d'auteurs et de dessinateurs, parmi lesquels : Claire Bretécher, Jean-Marc Reiser et Gotlibnotamment.
L'ensemble de l'oeuvre de Goscinny représente environ 500 millions d'ouvrages vendus.
En France, à partir de 1962, critiques et exégètes commencent à s'intéresser à la B.D. Peu à peu, on voit naître la bande dessinée pour adultes, qu'officialisera en 1972....L'Écho des Savanes.
♦ Puis c'est la floraison des grands mensuels de la B.D moderne : Charlie, Métal Hurlant, Fluide glacial, Circus, A suivre, Vécu, qui révéleront la plupart des créateurs d'aujourd'hui : TARDI, BILAL, BOURGEON, MOEBIUS, MARGERIN, VICOMTE et MAKYO, JUILLARD.....et tant, tant d'autres. Comment les citer tous lorsqu'on pense que paraissent chaque année près de 2 albums par jour ! publiés par de grands éditeurs spécialisés.
Aujourd'hui, la Bande dessinée a sa capitale : ANGOULÊME, qui accueille depuis 1974, autour du 23 janvier, le festival de la B.D.