20 Novembre 2020
Gabrielle Chanel, plus connue sous le nom de Coco Chanel, a fait beaucoup pour la mode et la libération du corps féminin. Toutefois, son comportement durant l'Occupation est douteux : amante d'un membre des services secrets allemands, elle est même recrutée pour une mission en Allemagne puis en Angleterre.
Elle naît le 19 août 1883. Sa naissance se déroule alors que ses parents ne sont pas encore mariés, leur union a lieu un an plus tard. Cinq frères et soeurs la rejoignent.
Leur père est un être qui rêve de succès ; toute sa vie, il reprochera à sa femme et ses enfants de l'avoir empêché de vivre comme il le désirait. Bourru, absent et volage, Gabrielle lui voue pourtant une véritable adoration.
La mère de Gabrielle meurt très tôt, a trente-deux ans, le 16 février 1895. Ses grossesses successives, la tuberculose et son travail dans les marchés de Paris - qui l'expose au froid - ont raison d'elle. Gabrielle n'a que douze ans.
Son père la place chez des cousines, à Thiers. Elle y tient le rôle de bonne à tout faire et domestique. Son séjour chez les dames chanoinesses de Moulins reste sujet à questions. Le problème est que Gabrielle a une fâcheuse tendance à la mythomanie, ce qui laisse planer le doute sur certains pans de sa vie, dont celui-là. Son adresse à la couture la destine à la même carrière que sa mère. Mais elle ne veut pas partager le sort des «cousettes», ces jeunes couturières aux moeurs légères. C'est vers 1907-1908 qu'elle se rend à Vichy, chez l'un de ses oncles. Là, elle commence à fréquenter les cafés-concerts, dont celui de La Rotonde à Moulins. Peu à peu, prenant de l'assurance, elle commence à chanter sur la scène et rêve du monde du music-hall. Elle a vingt-quatre ans et ses prestations sont très appréciées par les officiers du 10ème régiment à cheval qui stationnent à Moulins. Ils la surnomment «Coco», car sa principale chanson est «Qui qu'a vu Coco dans l'Trocadéro ?».
La chanson qui aurait inspiré le surnom de Gabrielle Chanel : Extrait du film d'Anne Fontaine, sorti en 2009, avec Audrey Tautou, Marie Gillain, Benoît Poelvoorde....
LE CONTEXTE :
À la fin du XIXe siècle, la France est encore un pays essentiellement agricole. Mais l'industrie du tourisme pour la bourgeoisie aisée internationale se développe fortement. La France est forte de ses stations balnéaires, qui attirent beaucoup de monde, mais aussi d'une réputation excellente dans le domaine de la mode.
La haute société se retrouve dans des bals, des rallyes, des courses automobiles. Les élégantes ornent leur chapeau avec des plumes ou des rubans, les manches sont très bouffantes tandis que les corsets sont très serrés. Le satin, les velours et les paillettes sont à la mode.
Le corps de la femme est compressé, ce qui peu à peu ne correspond plus aux nouvelles occupations qui émergent, la bicyclette ou le sport. Dans les cafés-concerts, les chanteuses rêvent de music-hall...
Très jolie, elle est rapidement courtisée et accepte les avances d'Étienne Balsan, jeune noble fortuné qui lui fait découvrir la vie de château ainsi que les us et coutumes de la haute société. Mais leur histoire ne dure que quelques mois ; elle y crée sa première révolution vestimentaire en montant ses chevaux en pantalon et non en amazone. (Les femmes françaises ont le droit de porter un pantalon depuis peu. La loi interdisant «le travestissement des femmes», qui datait de 1800, a en effet été abrogée en février 2013. Même si elle n'était plus respectée depuis bien longtemps, la loi était toujours en vigueur ! )
Par les relations d'Étienne, elle rencontre également Arthur Capel, homme d'affaires anglais. Elle en deviendra rapidement la maîtresse et, en 1909, le suit à Paris où il lui offre sa première boutique. Leur liaison durera dix ans, et continuera même après le mariage d'Arthur avec une anglaise. La mort de ce dernier dans un accident de voiture en 1919 provoque un grand chagrin à Coco.
Ses création très épurées sont à contre-courant de l'élégance de l'époque. Elle invente un nouveau style, une nouvelle allure avec ses tenues parfois à la garçonne, parfois en noir et blanc très strictes. Elle crée également des chapeaux qui se portent très bas sur le front. N'ayant aucune formation technique dans un premier temps, elle achète des chapeaux dans les grands-magasins, les décore et les revend à ses amies, des demi-mondaines pour la plupart. Très vite, elle est débordée par les commandes et doit faire appel à deux cousines. Son amant l'aide à développer son entreprise en lui prêtant des fonds qui lui permettent d'ouvrir une boutique à Deauville et une autre à Biarritz, qui sera sa première vraie maison de couture. Elle souhaite alors libérer le corps de la femme, en raccourcissant les jupes, supprimant la taille et le corset. Elle bénéficie de la clientèle de la société aisée, très présente à Deauville et Biarritz, car ce sont des stations balnéaires à la mode.
Durant la Première Guerre Mondiale, le tissu manque. Elle taille alors des robes à partir de tricots de corps des soldats. En libérant le corps, elle annonce une «silhouette neuve» qui, par la suite, lui vaut sa réputation.
Les femmes commencent à devenir maigres, et à se couper les cheveux courts pour lui ressembler. Ses vêtements simples et pratiques s'inspirent d'une vie sportive et dynamique, jouent avec les codes masculins et féminins. Elle met à la mode le jersey, auparavant réservé aux tricots de corps masculins et lance la marinière.
Dans les faits, il s'agit du seul tissu encore disponible en ces temps de pénurie. À la fin de la guerre, sa maison de couture devient l'une des plus importantes de l'époque et elle rembourse Arthur Capel. La mort de ce dernier l'affecte énormément et elle se raccroche à son travail, et à son amitié avec Misla Sert, rencontrée en 1919 et qui sera sa meilleure amie. Cette dernière l'introduit dans les cercles artistiques, car elle est une salonnière très courue du milieu culturel et artistique parisien.
En 1921, place Vendôme, Coco Chanel agrandit sa maison de couture en annexant les numéros 27, 29, et 31 rue Cambon.
Elle dispose de ses propres fabriques de tissus en Normandie et s'associe aux propriétaires de la maison de parfums Bourgeois, des frères Wertheimer. Elle tire son inspiration de ses liaisons masculines. Celle qu'elle entretien avec le duc de Westminster, l'un des plus riches de l'époque, lui fait mettre à la mode des vêtements auparavant uniquement masculin, comme le chandail, le béret de marin, la pelisse ou la veste en tweed. Elle les adapte à la garde-robe féminine, restant dans ce style simple alors que la mode est à l'orientalisme. Le côté confortable est pratique garantit le succès : tailleur à poches, premiers pantalons, jupes plissées courtes, robes de soirée taille basse très en vogue à l'époque du charleston....
En 1926, elle crée la petite robe noire, classique de la garde-robe féminine dans les années 20 et 30. Les vêtements simples sont en général ornés d'accessoires qui font la différence entre le style «pauvre» et le dépouillement. Un an plus tard, elle fait construire une maison à Roquebrune-Cap-Martin et y accueille entre autre Jean Cocteau et Salvador Dali. Elle distribue également ses parfums.
Lors de la Seconde Guerre mondiale, après avoir présenté une collection bleu-blanc-rouge patriote, elle ferme sa maison de couture, mettant à la porte ses couturières réclamant de meilleurs conditions de travail et de meilleurs salaires lors des grèves de 1936 - c'est une manière de se venger. Avec les lois anti-sémites, elle tente de récupérer la marque de parfum n°5, propriété de la famille juive Wertheimer, mais cela n'aboutit pas, car la famille a pris soin de laisser ses propriétés à un ami.
En 1937, elle loue une suite au Ritz, alors quartier général allemand et prend pour amant un membre des renseignements allemands, le baron Spatz. Elle est réquisitionnée comme espionne et envoyée en Allemagne en 1941. En 1943 elle est chargée d'obtenir un paix séparée avec l'Angleterre grâce à ses anciennes relations avec le duc de Westminster et Churchill.
Le comportement de Coco Chanel sous l'Occupation est avéré, elle a bien été l'amante d'un membre des renseignements allemands qui l'a par la suite recrutée comme agent. Après la guerre, elle n'a pas été condamnée par les tribunaux pour collaboration par manque de preuves. Mais récemment, des documents du M16 déclassifiés disent qu'elle a bien été recrutée : son numéro d'agent était F-7124 sous le nom de code «Westminster» - par rapport à sa liaison avec le duc. Des documents de la préfecture de Police de Paris portent le numéro et le même nom de code la concernant.
Pourquoi aurait-elle collaboré ?
Par profit dans un premier temps, afin de reprendre les parfums Wertheimer. Par la suite, il est possible que son amour pour Spatz l'ait entraînée dans l'espionnage. Si l'on en croit Hal Vaughan, elle est aussi d'un antisémitisme féroce, faisant parfaitement la différence entre ceux qu'elle fréquente - comme les Rothschild, qu'elle considère comme «Israélites» - et ceux qu'elle appelle les «Youpins». Pour un ancien proche, elle n'a aucune empathie pour le genre humain, méprisant les Allemands comme les Résistants.
À la fin de la guerre, elle s'installe dix ans en Suisse. Elle continue sa relation avec Spatz. En 1954, elle revient et rouvre sa maison de couture sur l'insistance des frères Wertheimer qui veulent relancer sa ligne de parfums. Elle retrouve le succès avec le tailleur en tweed, qui s'inscrit à contre-courant de la mode façon Christian Dior, qui au contraire met en valeur les décolletés pigeonnants.
Avec mai 68, elle devient tyrannique, estimant que la mode n'est bonne que lorsqu'elle descend de la rue, non quand elle en vient. Elle déteste les minijupes et les jeans, mais aussi le féminisme.
La vieille dame se drape dans sa grandeur passée. Elle se cache et ne vit qu'entourée de ses courtisans et de ses mannequins. La journaliste Françoise Giroud dépeint dans l'Express le naufrage d'une femme «Furieuse et droite comme un capitaine sur le pont d'un vaisseau qui sombre». Elle ne peut s'arrêter d'exister. Une collection, un dernière collection pour ne pas laisser la voie libre à ses jeunes concurrents, Dior ou Yves Saint Laurent. Le caractère de Coco Chanel transparaît dans cet entretien du 22 juillet 1970, à l'occasion de la présentation de sa collection Automne-Hiver :
Ce sera la dernière collection de la vie de Gabrielle Chanel.
Elle meurt le 10 janvier 1971, dans sa suite au Ritz et est inhumée au cimetière de Bois-de-Vaux à Lausanne.