25 Avril 2020
Oui, l'incroyable histoire du Facteur Cheval de Nils Tavernier est un film qui a quelque chose d'un peu utopique et peu réaliste mais il ressemble en cela au célèbre drômois qui a bâti le palais d'un rêveur. Le personnage est porté par un Jacques Gamblin sublime, bourru, dur et tendre à la fois, increvable, avec cet amour sans paroles, mais tellement vrai. Laetitia Casta, incarne sa fidèle compagne, et la région magnifique illumine ce film extraordinaire, sur un être extraordinaire, Le Facteur Cheval, qui a consacré sa vie, à construire un palais extraordinaire.
Mieux que le film, arrêtez-vous à Hauterives, une commune française située en région Auvergne-Rhône-Alpes, remontez une rue banale et poussez la porte d'une maison apparemment sans histoire. Non ! vous ne rêvez pas ! Au milieu d'un jardin que vous auriez imaginé voué à la culture potagère se dresse le monument le plus étrange, le plus incroyable qui soit. Temple hindou ou cambodgien transporté par magie au coeur de la Drôme, vous êtes devant le Palais idéal, né de l'imagination du FACTEUR CHEVAL.
Ferdinand CHEVAL (1836-1924) était le facteur de Hauterives, un pauvre facteur rural qui effectuait, tous les jours et par tous les temps, une tournée de trente-deux kilomètres à pied.
Souvent, les nuits du facteur étaient hantées par un rêve précis et insistant, celui d'un palais éblouissant dont il notait au réveil, les formes, les proportions, les moindres détails. Comme il ne comprenait pas le sens de ses visions nocturnes, il finit par oublier dans un fond de tiroir les dessins de son château et il continua, en bon facteur qu'il était, à distribuer son courrier.
Mais il arrive que le destin ait de la suite dans les idées. Ferdinand Cheval avait 43 ans, lorsqu'un jour son pied trébucha sur un caillou qui n'était sûrement pas venu là par hasard. Il le ramassa, le trouva beau et, en regardant autour de lui, il s'aperçut que les coteaux, les vallées, les rivières aux alentours fourmillaient de pierres étranges, de minéraux rongés par les millénaires, façonnés par le travail de la nature. N'était-ce point là le matériau qui allait lui permettre de matérialiser son rêve ?
Désormais, il entasse dans un panier qu'il porte sur le dos, des pierres trouvées sur son chemin : quarante trois kilos par jour qu'il dépose par petits tas et qu'il vient rechercher le soir avec sa brouette. Son trajet quotidien s'en trouvait rallongé de huit à vingt kilomètres par jour. Il l'appelait «le long charroi». Il se levait à deux heures du matin l'été, à trois heures l'hiver pour son projet fou.
Il traça les fondations d'un monument de 26 mètres de façade et de 14 mètres de largeur. A la fois architecte, sculpteur et maçon, il lui fallut trente-trois années d'un travail incessant pour venir à bout de l'oeuvre de sa vie.
«C'est un fou, disaient les gens du village, un fou qui remplit son jardin avec des pierres !»
Mais lui n'entendait pas les railleries. Il était conscient d'avoir été appelé entre tous pour mettre au monde une oeuvre de génie. Il s'étonne souvent lui-même des formes qu'il crée et il se demande comment il a pu les réaliser lui qui n'a aucune connaissance artistique ni technique.
En 10 000 journées représentant 93 000 heures de travail, il édifiera un extraordinaire ensemble où se trouvent juxtaposés, accolés, enchevêtrés : des cascades, un incroyable bestiaire - pieuvre, biche, caïman, éléphant, pélican, ours, oiseaux, un temple hindou, une mosquée et des minarets, un château du Moyen Age, un chalet suisse, la Maison Blanche, la Maison Carrée d'Alger et un tombeau égyptien. Trois géants de pierre coiffés d'un chapeau, lèvent un doigt vers le ciel : ce sont César (le grand conquérant romain), Archimède (le grand savant grec) et Vercingétorix ( le défenseur de la Gaule). Ils ressemblent étrangement aux «Moaïs», les géants de l’île de Pâques. Entre leurs jambes, deux déesses, Véléda, la druidesse et Inize ou Isis, l'Égyptienne, lèvent les bras vers eux.
Dans une petite grotte, le facteur a enchâssé sa vieille brouette ▲ à qui il a dédié un poème gravé dans le ciment :
1906. Je suis la fidèle compagne
Du travailleur intelligent
Qui chaque jour dans la campagne
Cherchait son petit contingent.
Maintenant que son oeuvre est finie,
Il jouit en paix de son labeur
Et chez lui, moi, son humble amie
J'occupe la place d'honneur.
Sur l'ensemble du monument, Cheval, a gravé les légendes ou les pensées naïves que la vie lui a inspirées :
Sur cette terre, comme l'ombre nous passons
Sortis de la poussière, nous y retournerons
Heureux l'homme libre, brave et travailleur
l'Hiver comme l'été
Nuit et jour j'ai marché
J'ai parcouru la plaine et le coteau
De même que le ruisseau
Pour apporter la pierre dure
Ciselée par la nature.
C'est mon dos qui a payé l'écot,
J'ai toujours bravé la mort.
Émerveillé par ce Palais des Mille et une Nuits sorti de son cerveau, le facteur CHEVAL ne pouvait s'empêcher de proclamer sa fierté.
Il semble au touriste qui déchiffre ces inscriptions maladroites que le facteur Cheval ne cesse de l'accompagner tout au long de sa visite.
De chaque côté de l'édifice part un escalier permettant d'accéder à une terrasse située à environ 4 mètres du sol et qui mesure 23 mètres de long sur 3 mètres de large. De là on peut grimper au sommet du Temple hindou et à la Tour de Barbarie. Le point le plus élevé du Palais idéal se trouve à 10.80 mètres.
L'oeuvre du Facteur Cheval est un condensé du monde tel qu'il le perçoit. Dans son Palais, sa morale est révélée par ses inscriptions. Sa mythologie transparaît dans un bestiaire et sa perception des cultures des cinq continents se retrouve dans l'architecture. Par ce panel des religions et des cultures, Ferdinand Cheval souhaite universaliser son Palais. Afin de renforcer l'idée maîtresse de son oeuvre, la fraternité entre les peuples, il écrit à l'entrée de la mosquée : «Les fées de l'orient viennent fraterniser avec l'Occident».
L'ensemble représente 1 000 m3 de maçonnerie et 3 500 sacs de plâtre. Le coût de la construction - hors main d'oeuvre, bien sûr - a été évalué à 5 000 Francs de l'époque, ce qui représente une petite fortune pour un facteur rural.
Pour assurer la solidité de sa construction, Ferdinand Cheval eut l'idée de noyer des tiges de fer dans le ciment. Si l'on considère que le béton armé ne reçut sa toute première application qu'à partir de 1890, on peut estimer que seul, dans sa campagne perdue, loin de toute information technique, notre facteur a inventé de son côté le béton armé et coffré.
Il avait aussi en 1896 construit sa maison « la Villa Alicius» ▼ où il s'installe avec son épouse.
♦ En 1912, à 76 ans, Cheval ayant achevé l'oeuvre de sa vie l'ouvrait au public. Il bâtit aussi un belvédère afin de contempler son Palais idéal au soleil couchant. ▼
Deux ans plus tard, Joseph Ferdinand Cheval reprendra sa fidèle brouette pour construire son tombeau au cimetière du village de Hauterives, «Le tombeau du silence et du repos sans fin», achevé en 1922. Son fils perd la vie cette même année. Son épouse meurt quant à elle deux ans plus tard en 1914.
Ferdinand Cheval décède le 19 août 1924. Deux jours avant, il fait certifier «sincère et véritable» la version définitive de sa biographie (4ème version datée de 1911). Le Palais idéal est mis en gérance par ses deux petites filles (filles de Cyril, son fils).
Le Palais idéal a inspiré les artistes durant plus d'un siècle. Indépendant de tout courant artistique, construit sans aucune règle d'architecture, il a fait l'admiration des surréalistes, et a été reconnu comme une oeuvre d'art brut.
♦ Le 23 septembre 1969, André MALRAUX fit classer le Palais Idéal du facteur CHEVAL monument historique avec la mention :
Architecture naïve unique au monde.
En 1984, Alice, l'une des petites filles du facteur Cheval, qui n'a pas de descendant, décide de léguer sa part du Palais à la commune. Dix ans plus tard, se seconde petite fille, vendra également sa part à la commune. Depuis 1994, le Palais idéal appartient à la Ville de Hauterives.
«Une merveille», «un chef d'oeuvre», «un lieu magique»....Les visiteurs ne manquent pas d'éloges à son sujet. En 2019, plus d'un siècle après la pose de la dernière pierre, le palais n'a jamais attiré autant de visiteurs. «Chaque année, le Palais Idéal attire environ 180 000 visiteurs, ce qui est déjà bien», expliquait le directeur du site, Frédéric Legros, au Progrès. «Des musées de Lyon et de Paris n'atteignent pas ce chiffre. Et nous l'avons dépassé en juillet...». Il évoque une année «exceptionnelle» pendant laquelle l'affluence n'a pas faibli, y compris en hiver, et espère bien que les visiteurs continuent à venir nombreux découvrir l'oeuvre du facteur CHEVAL.