3 Février 2021
Souillon devenue reine, enfants abandonnés terrassant les sorcières, princesses sauvées par d'aimables marraines...Les contes de fées ont illuminé notre enfance. Pourtant, au départ, ces histoires sont souvent beaucoup plus crues. Comme celle de la jolie Boucle d'or qui termine déchiquetée par les trois ours pour avoir été trop curieuse. Ou celle de la Petite sirène qui meurt dissoute dans l'écume pendant que son amoureux en épouse une autre. Qu'on se le dise, les contes sont cruels. Comme la vie ! Pas très étonnant, car, à l'origine, ils ne servent pas à endormir les enfants, mais à éduquer le peuple. Dans l'Europe du XIIIe siècle, dominicains et franciscains agrémentent leurs prêches de ces histoires populaires afin de guider les fidèles sur la bonne voie. Un objectif : capter l'attention du public à grand renfort de scènes de belles-mères cupides, d'enfants éviscérés et de viols en tout genre.
Hamelin, une ville de Basse Saxe, en Allemagne, est envahie par les rats. Un jour, un étranger joueur de flûte hypnotise les rongeurs au son de son instrument et les attire jusqu'à la rivière Weser où ces derniers se noient. Un exploit ! Mais, voyant tout danger écarté, le bourgmestre refuse de s'acquitter de la récompense promise. Le musicien est furieux. Il joue alors une musique qui attire tous les enfants hors de la ville. Des enfants que plus jamais on ne revit. Le plus troublant de ce conte, c'est qu'il semble s'inspirer d’événements bien réels. Plusieurs documents historiques de la ville font en effet référence à une disparition massive d'enfants. Plus intriguant encore, les archives situent toutes cet incident tragique à la même date : vers 1283-1284. Sur la dédicace d'une des portes, bien réelle de la ville de Hamelin, on peut lire ce message : «En l'an 1556, 272 ans après que le magicien eut enlevé 130 enfants de notre ville, ce portail fut érigé.» Quelle catastrophe a traumatisé une ville entière, poussant les habitants à se lamenter plus de 300 ans après ? Wolfgang Mieder, spécialiste de folklore germanique, a son explication : l'événement ferait référence aux campagnes de recrutement massives de jeunes gens pour coloniser l'est de la Transylvanie. (Dans la Roumanie actuelle) .
TOUT COMMENCE AU MILIEU DU XIIe SIÈCLE, quand le roi Geisa II de Hongrie appelle en Transylvanie des colons venus d'Allemagne. Il en a besoin pour exploiter les mines de son pays et défendre ses sujets contre les envahisseurs tartares et mongols. Ses sergents recruteurs sillonnent l'Europe, promettant aux volontaires des conditions très alléchantes : La liberté personnelle (alors que les Hongrois sont soumis au servage), la propriété héréditaire des terres qui leurs sont données et le choix de leurs juges et de leurs hommes d'église. Dès la fin du XIIe siècle, «arrivent environ 520 familles (à peu près 2 600 personnes)», écrit la chercheuse Catherine Roth. Les mouvements migratoires durent plus d'un siècle.
LE RAPPORT AVEC HAMELIN ? Dans les années 1280, des dizaines de familles de cette ville, lasses de vivre dans la misère, les famines et les épidémies à répétition, auraient été charmées par les douces promesses d'un sergent recruteur : Un émissaire du royaume hongrois à l'accent chantant, que le conte a transformé en joueur de flûte (ou de pipeau !).
La vérité : Je suppose que vous l'avez devinée, dans beaucoup de versions, les habitants ne revoient jamais leurs enfants. Soit ils meurent dans la grotte, soit ils sont guidés par la musique jusqu'au lac dans lequel ils se noient. Beaucoup de nos contemporains, dont notamment l'écrivain William Manchester, sont persuadés qu'il s'agissait en fait d'une histoire de pédophilie et qu'avant de tuer les gamins, le joueur de flûte avait d'abord abusé d'eux.
L'histoire du Maître Chat ou du chat botté : au décès d'un meunier, ses trois enfants se partagent ses biens. Le cadet hérite d'un chat. Se jugeant injustement lésé, il n'arrêtait pas de se désoler : «Mes frères auront de quoi gagner leur vie et subsister. Mais moi, une fois que j'aurai mangé mon chat, il ne me restera qu'à mourir de faim».
Pourtant, ce chat n'était pas un chat comme les autres. Non seulement il était capable de comprendre ce que se disaient les humains, mais il pouvait aussi parler leur langage. Ayant entendu le discours affligé de son nouveau maître, ce chat exceptionnel, soucieux de ne pas finir à la casserole, sollicita du jeune homme une faveur : «Avant de me manger, tout ce que je te demande, c'est de me confectionner un sac et de me procurer une paire de bottes». Une fois chaussées, il part à la chasse et en offre le produit au roi, de la part de son maître qu'il fait passer pour le Marquis de Carabas. À plusieurs reprises au cours des mois suivants, le chat effectua la même démarche, au point de devenir un familier de l'entourage royal. Ayant appris que le roi s'apprêtait à accompagner sa fille, une très jolie princesse, au cours d'une promenade au bord de la rivière, le Chat Botté suggéra habilement à son maître : «Suivez-moi jusqu'à la rivière. Retirez vos vêtements et allez vous baigner à l'endroit que je vous indiquerai. Pour le reste, faites-moi confiance...» Au moment précis où le carrosse royal apparut sur la berge, le chat se mit à hurler : «Au secours ! Au secours ! Mon maître, le marquis de Carabas, est en train de se noyer». Le roi donne l'ordre à ses gardes de porter secours à l'infortuné, qui est ramené, tout nu et penaud sur la rive. Mais le Chat Botté, qui avait entre-temps caché les vêtements de son maître, expliqua au souverain que «Les habits du marquis de Carabas avaient été dérobés par des voleurs pendant qu'il se baignait». Le roi ordonna aussitôt : «qu'on apporte au marquis les plus beaux habits de la cour !» Après quoi, il invita le faux marquis à prendre place à bord de son carrosse. En apercevant, à ses côtés, la princesse à la rayonnante beauté, son coeur s’emballa. La princesse ne resta pas insensible non plus au charme du «beau marquis» et en tomba amoureuse sur le champ. Le Chat Botté courant devant le carrosse, menaçait des pires représailles tous les paysans rencontrés au bord de la route s'ils n'acceptaient pas d'affirmer que les champs qu'ils étaient en train de faucher appartenaient au Marquis de Carabas. Le Chat ne se priva pas non plus de glisser à l'oreille du roi que toutes les terres traversées étaient la propriété de son maître. la chat interpella même au passage un paysan qui n'osa démentir cette allégation. Or, tous ces champs appartenaient en fait à un Ogre, qui habitait un château voisin. Le chat botté, redoutant de voir échouer ses plans par la faute de cet importun, se renseigna à son sujet avant d'aller lui rendre visite. Il avait ainsi appris que cet Ogre était un peu magicien et qu'il pouvait se transformer à volonté en n'importe quel animal de son choix. Le chat botté lui dit : «On m'a assuré (...) que vous aviez le pouvoir de prendre la forme des plus petits animaux. Je vous avoue que je tiens cela pour tout a fait impossible». En théorie, ces informations sont superflues pour se débarrasser d'un ogre. Mais, en évoquant le pouvoir du monstre et en partageant son ressenti, le chat gagne la confiance de son ennemi. L'ogre se mua sur-le-champ en une minuscule souris, le chat, bien sûr, se précipita et n'en fit qu'une bouchée. Le roi, un jour, se présenta au château de l'Ogre, et quelle ne fut pas sa surprise d'y être accueilli par le Chat Botté qui le salua de façon très protocolaire : «Que votre Majesté soit la bienvenue au château du Marquis de Carabas». Le roi, ébloui par tout le faste qu'il découvrait autour de lui, eut très vite la conviction que le marquis de Carabas ferait un gendre idéal. Et c'est le souverain lui-même qui demanda à ce dernier de lui faire l'honneur d'accepter la main de sa fille.
Pour ce pauvre fils de meunier, la vie prenait soudain un tournant inattendu. Finalement ce chat, botté et culotté, se révélait être un héritage véritablement fabuleux et inespéré. le Chat devint grand seigneur, et ne courut plus après les souris que pour se divertir.
En réalité, ce récit semble donc n'être qu'un prétexte de Perrault pour parvenir à faire entendre son jugement concernant certains aspects de sa société et des hommes qui y vivent. La morale est beaucoup plus soucieuse des circonstances que des principes.
L'apparence contribue grandement à la reconnaissance dans la société, et également à la séduction. La moralité traite de la vitesse du sentiment, non sans ironie.... L'«Industrie» est glorifiée dans la morale du Maître chat, mais le «Marquis de Carabas» n'a pas vraiment de quoi se vanter à propos de son improbable savoir-faire, puisqu'il doit tout à son chat. Ainsi la réussite personnelle est parfois aidée par le mensonge, la ruse, la manipulation et les faux semblants. Il paraît souvent impossible d'être totalement conforme à la morale, et il faut parfois user du vice pour atteindre la vertu.
Perrault ouvre la porte au fantastique en donnant la parole à un chat. L'anthropomorphisme permet de dénoncer les tares de la société sous couvert de satire, ce qui est toujours d’actualité. En outre, la situation reflète les moeurs sociales de l'époque, notamment du droit d'aînesse.
Il était une fois une belle enfant sur laquelle planait une sordide malédiction : à sa naissance, une sorcière lui avait prédit la mort lorsqu'elle serait piquée par un fuseau ou une épine. Heureusement pour elle, un bonne fée atténua son malheur : «Au lieu d'en mourir, elle tombera seulement dans un profond sommeil qui durera cent ans», écrit Perrault.
C'est ainsi que, blessée le jour de ses 16 ans, la princesse plongea dans l'inertie. Jusqu'à ce qu'un prince la délivre d'un baiser....Mais, dans Le Soleil, la Lune et Thalie, extrait du recueil de contes Pentamerone, du poète Giambattista Basile (1634), le héros qui pénètre dans le château n'a aucune intention de sauver la belle endormie. Il s'agit d'un roi d'âge mûr, déjà marié, qui s'engouffre dans sa couche pour abuser d'elle. Un viol duquel naîtront deux jumeaux, que sa belle-mère cannibale tentera de dévorer.
Voyeurisme, viol, adultère.... La Belle au bois dormant des origines n'a rien pour plaire aux moins de 18 ans. Et, au XVIIe siècle, lorsque Perrault rédige sa version du conte, l'héroïne a aussi de quoi chiffonner la très tatillonne Église de France.
CETTE JEUNE VIERGE INNOCENTE est en effet une sorte de jumelle profane de la Sainte-Marie des Évangiles. La Belle au bois dormant, inconsciente et féconde, emprunte beaucoup à la vierge Marie, capable de concevoir et de mettre au monde sans plaisir ni péché. Une femme parfaite aux yeux des chrétiens. Or, dans le conte, celui qui féconde la princesse n'est pas un esprit saint, mais un vieux roi libidineux. Dans une France en proie aux conflits religieux, marquée par un raidissement des catholiques face à la montée en puissance du protestantisme, ce type d'ambiguïté n'est plus toléré. Exit le viol, qui est donc remplacé par un chaste baiser.
On raconte que Charles Perrault, invité en 1691 au château d'Ussé, dans l'Indre, par Louis Valentinay, y aurait puisé l'inspiration pour le conte de La Belle au bois dormant.
À l'intérieur du château, on vous transporte au coeur des contes de Charles Perrault grâce aux pièces spécialement décorées dans lesquelles on peut apercevoir des mises en scène des principaux thèmes de la belle Aurore : Le baptême de la jeune princesse, le rouet maudit ou encore le réveil face au prince charmant. Que se passerait-il si on racontait la vraie histoire aux visiteurs du château ?
C'est l'histoire d'une fillette aussi ingénue que jolie que sa mère envoie remettre un panier à sa grand-mère habitant de l'autre côté de la forêt. Dans les bois, elle croise le loup à qui elle révèle sa destination. Le rusé arrive avant elle chez mère-grand et la dévore toute crue. Puis, il enfile les vêtements de la défunte et prend sa place dans le lit. La fillette arrive et se fait elle aussi manger. heureusement, un chasseur délivre les femmes, racontent les frères Grimm au début du XIXe siècle. «Oh, là, là, quelle peur j'ai eue !» s'écrie l'héroïne. Ouf ! Ah oui ? Pourtant, il se pourrait bien que la fillette ait été abusée sexuellement.
Le loup la convie à se déshabiller, elle le questionne pour chaque vêtement, s'attirant toujours la même réponse. «Où faut-il mettre mon tablier ? » «Jette-le au feu, tu n'en as plus besoin» répond-il. Dans le lit, le petit chaperon détaille avec surprise l'anatomie de l'animal. «Ma mère-grand, que vous avez de grandes jambes». Jusqu'au fameux «Ma mère-grand que vous avez de grandes dents». «C'est pour mieux te manger» lui répond le loup.
Ce conte nous dit qu'il est visiblement courant que les enfants soient pris pour victimes, non seulement d'un prédateur mais également des comportements parentaux. La mère envoie sa fille seule chez sa grand-mère, véritablement sans se soucier de l'exposer aux dangers de la forêt (le loup). La mère devait bien savoir qu'il y avait des loups dans la forêt. Bien sûr, elle exhorte sa fille à ne pas s'écarter du chemin, mais elle ne la prépare pas au danger de façon appropriée, elle nie le danger. L'enfant fait donc confiance au loup, lui dit où habite sa grand-mère, et quand elle trouve le loup dans le lit et qu'il lui dit qu'il est sa grand-mère, elle le croit et devient sa victime naïve. Cela représente symboliquement le prédateur sexuel à qui, souvent, les mères livrent leurs filles. (ou leurs garçons).
Le loup dans le conte est celui qui ment, celui qui manipule et celui qui tue. Il évoque le personnage du pédophile sadique qui défraient les chroniques journalistiques et effraient le peuple. Il est celui qui corrompt la jeunesse pure, il est l'archétype de la vilenie humaine car il atteint au sacré de l'enfance. La petite fille avait aussi peu d'options de se sauver qu'une souris prise dans un piège. Et dans sa motivation délirante le loup la tue.
Le sens de cette histoire est limpide : c'est évidemment une parabole qui invite les filles «belles, bien faites et gentilles» selon Perrault, à se méfier des prédateurs sexuels. La distinction entre «le loup» et «les loups» montre que le vice n'est pas le lot de chaque homme, mais qu'il faut se méfier de ceux qui paraissent les plus honnêtes.
Nul doute que Perrault savait de quoi il parlait. Licencié en droit, l’écrivain a passé vingt ans au service du Roi-Soleil, observant de près les ruses diplomatiques propres à la cour. Ses contes, disait-il, étaient une forme de pédagogie moderne, renfermant «une morale très sensée, et qui se découvre plus ou moins, selon le degré de pénétration de ceux qui les lisent».
Charles Perrault affirme sans ambages, dans le paratexte, l'intention morale de ses œuvres. Il fait profession de vertu dès la préface des Contes en vers : Les gens de bon goût... ont été bien aises de remarquer que ces bagatelles n'étaient pas de pures bagatelles, qu'elles renfermaient une morale utile, et que le récit enjoué dont elles étaient enveloppées, n'avait été choisi que pour les faire entrer plus agréablement dans l'esprit et d'une manière qui instruisît et divertît tout ensemble. Cela devrait me suffire pour ne pas craindre le reproche de m'être amusé à des choses frivoles.
Et pour en revenir à mon point de départ, les histoires traditionnelles sont des films d'horreur, sachez que les versions qui sont arrivées jusqu'à nous à travers Perrault ou Grimm ou encore revisitées pas Disney ne sont rien, mais alors rien comparées au niveau d'épouvante des histoires originales.
Le Docteur Laurent Vercueil, neurologue hospitalier au CHU Grenoble Alpes, propose ainsi une relecture des contes à l'aune des connaissances d'aujourd'hui, notamment en matière de troubles neurologiques. Zombies, fantômes, princesses endormies, sujets possédés, elfes, loups-garous, sorciers, vampires, etc...sont-ils des cas cliniques réintégrés par les récits populaires dans un imaginaire collectif et transformés en archétypes ? Y a-t-il, au final, un réel bien concret derrière l'enchantement des contes de fées ?
Éclairant et divertissant, l'ouvrage dessine une analyse amusante des récits qui ont bercé notre enfance, et durablement marqué notre imaginaire. Sans pour autant en dissiper la magie, créant même un nouvel émerveillement, celui de la connaissance et des progrès de la science.
Le Dr Laurent Vercueil, éd.Humensciences, 230 pages, 19€..