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MICHAEL JACKSON a été protégé par sa bizarrerie.

MICHAEL JACKSON a été protégé par sa bizarrerie.

Debout sur le toit de l'une des voitures de son cortège, le 16 janvier 2004, Michael Jackson  semblait même bénir la petite foule qui l'attendait devant le tribunal en braillant «We love you Michael !». De loin, lorsque sa chevelure de Barbie brune masquait un peu sa face blafarde et mutilée, le «King of Pop» montrait encore de l'allure, à 46 ans, s'immobilisant par instants, les bras entrouverts, dans une pose étudiée pour sa statuaire future ou tirée d'un ancien final de son concert - Invincible - au Madison Square Garden . Mais, au nom de la décence et de l'ordre public, les flics l'ont prié, lui et son équipe d'avocats, de gorilles à lunettes noires, de circuler. Légende aux 110 millions d'albums vendus dans ses mythiques années 1980, Michael Joseph Jackson venait d'entendre sa mise en examen officielle pour attouchements sexuels sur la personne d'un mineur âgé de moins de 14 ans. Il criait son innocence : mais on l'a prié de ne pas en rajouter. 

Dans le prétoire, ce jour-là, le procureur local, un district attorney moustachu nommé Tom Sneddon, lui a adressé un salut. Tous deux se connaissaient. En 1993 déjà, il avait failli le coffrer pour une première affaire avec un mineur. A charge de revanche, en 1995, le chanteur lui avait dédié, en changeant à peine son nom, une chanson de son album HIStory intitulée D.S.: «Dom Sheldon est un homme froid. Dom Sheldon ne croit qu'en ses ambitions politiques.» 

 
 

Michael Jackson, lui, croyait encore que tout pouvait se régler en chansons. La star ne voulait pas admettre que l'étau se refermait. Le procès qui s'ouvrait le 31 janvier 2005 - à Santa Monica, à deux heures de Los Angeles - sur dix chefs d'accusation de pédophilie notoire et d'obstruction de justice, aurait pu  porter le coup de grâce à ses quarante-deux ans de carrière, et muer sa vie de reclus multimillionnaire en celle d'un taulard pathétique confiné pour plus de vingt ans dans un pénitencier de Californie. 

La meute, elle, avait déjà pressenti l'hallali. L'on ne trouvait plus une chambre d'hôtel dans un rayon de 60 kilomètres autour du tribunal du district. Bravant le déluge et les tempêtes du début janvier, les télévisions ont déjà dépêché dans le comté de Santa Barbara leurs camions satellite et les mobil-homes de leur personnel, selon un plan logistique rodé depuis le procès d'O. J. Simpson. Faute d'avoir le droit de filmer en direct les audiences, malgré trois recours en justice, la Television et la chaîne britannique Skynews ont annoncé un joint-venture pour financer la représentation quotidienne des minutes du procès... par des acteurs de soap opera. 

 

Quarante chaînes locales et nationales assuraient leurs profits quotidiens en retransmettant les arrivées et les départs de la star. Michael semblait assagi. Mais le rêve des producteurs était qu'il réédite son délire de l'hiver 2002. A l'époque, poursuivi par un promoteur pour rupture de contrat et 21 millions de dollars de dommages et intérêts, Michael Jackson était arrivé plusieurs fois avec quatre heures de retard aux audiences, visiblement défoncé à la morphine  ou au Demerol, un anti-inflammatoire en bonne place sur sa facture mensuelle de 10 000 dollars de médicaments, livrés par une pharmacie de Beverly Hills. En lui enjoignant de retirer l'éternel masque qui occulte la moitié de son visage, le juge avait révélé l'étendue du désastre humain.  Les photos du procès civil relèvent du musée des horreurs, ou des démences. Les spécialistes retracent au moins 50 opérations chirurgicales sur ce visage massacré. Son nez, nécrosé ou raboté au bistouri jusqu'au dernier millimètre de cartilage, retient à peine une prothèse grotesque sous un emplâtre de fond de teint. Les yeux de biche folle,  perdus  et soulignés d'épais mascara, semblent flotter sur la face émaciée, lessivée par les peelings chimiques, embossée comme un masque mortuaire par les pommettes artificielles. Lorsque le mannequin de cire s'anime, ses lèvres amincies minaudent, se plissent en moues puériles. A l'audience, en gloussant, en forçant sa voix de petite souris, il avait demandé plusieurs fois des bonbons à la greffière du tribunal. «J'aime tellement les bonbons.» 

Les enfants aussi adorent les bonbons. Le 17 décembre 2004, malgré le battage sur le procès à venir, malgré les pleines pages de spéculation des tabloïds sur la résurgence d'autres affaires troubles, quelque 200 préados expédiés en bus par des associations des quartiers déshérités de South Central ou d'East Los Angeles profitaient de l'une des dernières occasions, avant Noël, de passer la journée dans le ranch de 200 hectares de l'idole. Neverland, un paradis pour marmots doté de son parc d'attractions privé, avec grande roue, éléphants et singes, arcades de jeux électroniques, salle de cinéma et sucreries à volonté. En près de vingt ans, Michael Jackson n'a jamais manqué à sa promesse d'ouvrir son palais, au moins trois fois par mois, aux chers petits. Certains ont eu droit au traitement de faveur : Sean Lennon fils de Yoko Ono, a figuré au nombre des habitués, et un fortin au nom de Mac and Mike, toujours présent dans le parc, a été conçu spécialement pour les batailles de pistolet à eau de Michael et de l'enfant star Macaulay Culkin, petit héros du film Maman, j'ai raté l'avion. Outre des shoppings nocturnes dans les plus grands magasins de jouets de la région, ce dernier avait eu l'insigne honneur, il l'a raconté lui-même, de passer la nuit dans le très grand lit de Michael. «Juste pour dormir, assurait-il. Il ne s'est rien passé.» En février 2003, son hôte, lors d'une interview fort remarquée du Britannique Martin Bashir, l'avait confirmé. «Vous pensez sexe. Mais il n'y a rien de sexuel, se défendait l'idole. Quelle plus belle preuve d'amour peut-on donner qu'en partageant son lit ?» 

L'enfant qui lui valait son nouveau procès est un petit Latino pauvre de la zone délabrée d'East Los Angeles. Pauvre et malade.  En l'an 2000, Gavin, alors âgé de 10 ans, venait d'être opéré d'un cancer qui avait nécessité l'ablation d'un rein et de la rate. La chimio le minait. La bouche pleine d'aphtes, incapable d'absorber assez de nourriture, le petit s'étiolait dans sa chambre d'hôpital sous les yeux de son protecteur, Jamie Masada, propriétaire d'un club d'humoristes de Los Angeles et fondateur d'un centre de loisirs et de spectacles pour enfants défavorisés. «Si tu finis ton assiette, lui promettait-il, je te fais rencontrer qui tu veux.» C'est alors que Michael Jackson est apparu dans un clip MTV, sur l'écran de la télévision de la chambre. 

Jackson a accepté, comme il l'avait fait pour plusieurs fondations en faveur de l'enfance, de téléphoner régulièrement au petit malade. Un an et demi plus tard, l'enfant, en rémission complète, était devenu avec sa famille, son jeune frère et sa soeur, un habitué de Neverland. Masada se souvient d'avoir entendu, à cette époque, le père de Gavin parler du dernier cadeau offert par la star : une voiture, dotée d'une télévision. Le journaliste britannique Martin Bashir, connu pour son interview vérité de la princesse Diana, commençait alors à tourner un documentaire sur la vie quotidienne de Jackson. A la sortie du film aux Etats-Unis, sur la chaîne ABC, au début de février 2003,  des millions de téléspectateurs voient le jeune garçon tenir la main, ou poser sa tête sur l'épaule de son idole, et raconter candidement comment il a souvent passé, avec son jeune frère, la nuit dans la chambre de Michael, «qui, lui, dormait par terre». 

Reconnu par ses camarades d'école, Gavin a vécu dès lors un enfer, ce qui l'a obligé à changer d'établissement. Les services de la protection de l'enfance de Los Angeles se saisissent de l'affaire. Une étrange fébrilité s'empare de Jackson et de ses adjoints qui conseillent très fermement à la famille de séjourner à Neverland, le temps d'organiser le tournage d'un document vidéo réfutant le film de Martin Bashir. A cette époque, ils vident le logement des parents de l'enfant et s'emparent de leurs actes de naissance pour leur faire établir des passeports, nécessaires à leur expatriation prochaine vers le... Brésil. Ils ignorent que la police de Los Angeles et celle du comté de Santa Barbara ont discrètement ouvert leur enquête. 

Les témoignages de Gavin et de son frère, contenus dans les minutes d'audition du grand jury chargé de l'instruction de l'affaire, au printemps 2004, laissent pantois. Jackson, après avoir exilé la mère et la petite soeur dans le lointain pavillon des invités, garde les garçons dans sa résidence, et le plus souvent dans sa chambre, poussant l'aîné, amputé d'un rein, à consommer du vin blanc dissimulé dans des canettes de Coca-Cola, visitant avec eux des sites porno sur Internet, les incitant à la lecture de divers magazines érotiques. Il se présente à eux nu et en érection. Au dire de la victime, à cinq, peut-être sept reprises, après s'être assuré que le plus jeune dormait, Jackson, les yeux clos, masturbe l'aîné et se propose ensuite de garder ses sous-vêtements souillés. Le plus petit, feignant de dormir, voit Michael Jackson se frotter contre son frère assoupi. Par la porte ouverte, il dit l'apercevoir, une main dans le pantalon de pyjama de l'enfant, l'autre sur son propre sexe. Les propos des deux gosses, interrogés séparément, concordent. Le shérif de Santa Barbara et plusieurs dizaines d'adjoints occupés à perquisitionner Neverland, à la mi-novembre 2003, n'ont qu'à suivre leurs indications pour parcourir les appartements privés du chanteur et y trouver la cache de revues pornos. L'instruction assure avoir récupéré, notamment, les sous-vêtements du gamin et même une lettre, écrite par la petite soeur, commentant les mystérieuses nuits de ses frères dans la chambre de Michael. 

«Michael Jackson a été longtemps protégé par sa bizarrerie, reconnaît un officiel, familier de l'enquête. L'oeil s'émousse sur ses excentricités. On finit par ne voir que le personnage qu'il s'est créé: un lutin éthéré et surtout asexué, un gosse éternel, inoffensif, l'incarnation de l'innocence enfantine.» En 1993, le chanteur est sauvé de justesse d'une possible mise en examen pour attentat à la pudeur sur un mineur, enterrée après le paiement à l'amiable de plus de 20 millions de dollars à la supposée victime. La même année, il offre 2 millions à sa servante personnelle, outrée d'avoir retrouvé son fils blotti dans un sac de couchage avec le maître des lieux. L'opinion, pour tout scandale, ne retient que son mariage grotesque avec Lisa Marie Presley, la bizarrissime fille de feu le King, Elvis, puis, en 1996, avec Deborah Rowe, l'infirmière de son dermatologue, future mère de ses deux premiers enfants, Prince Michael Jr, en 1997, et Paris, sa fille, en 1998. De son propre aveu, la naissance de la petite lui avait causé une telle émotion qu'il s'était enfui de l'hôpital en emportant l'enfant, roulée dans une couverture avec... le placenta !! Le petit dernier, Prince Paris II, né d'une mère porteuse inconnue, a eu l'honneur d'être, lui, au péril de sa vie, suspendu par son père au balcon du neuvième étage d'un hôtel de Berlin, au-dessus de la foule qui réclamait de le voir. L'artiste a su, lui-même, cultiver sa légende insolite.

Pour Tom Sneddon, district attorney du comté de Santa Barbara, cette nébuleuse d'anecdotes foldingues n'est qu'un subtil brouillage de piste.  Au-delà de l'apparente dinguerie de Michael Jackson subsistent des questions plus troublantes: «Ces gamins, mignons comme Macaulay Culkin,  dont il s'entoure périodiquement depuis les années 1980, et dont il se sépare dès qu'il leur pousse un peu de moustache...» ironise un enquêteur de Los Angeles. Que dire de ces sommes, considérables parfois, attribuées en vingt ans à l'entourage d'au moins quatre mineurs, dont un petit Australien, gratifié avec sa famille de titres de séjour obtenus par les avocats de Jackson ? Et ces Mercedes, ces bijoux offerts aux parents assez confiants, pervers ou vénaux, pour dormir dans le pavillon des invités tandis que leur gamin passait la nuit dans la chambre du King of Pop ? 

Sneddon, accusé par Michael Jackson d'assurer sa promotion politique en s'acharnant sur une célébrité, répond qu'il ne cherche qu'à démontrer ces précédents au tribunal. Certes, tout sépare Michael Jackson de ce sexagénaire débonnaire et fort en gueule, père tranquille de neuf enfants. Et nul ne peut nier l'appétit de revanche du procureur. Comme dans le cas du petit Jordie Chandler, 13 ans. Ce dernier, qui avait suivi son idole pendant trois ans, de Neverland à ses appartements de Los Angeles, lors de ses déplacements à Monaco ou à Disneyworld, avait fini par confier à la police les attouchements de son mentor, et se disait capable de dessiner les décolorations caractéristiques des parties génitales de la star. Sneddon, après avoir perquisitionné Neverland, et - déjà - trouvé son lot de magazines osés et de sous-vêtements de petits garçons, avait exigé, sous peine d'incarcération immédiate, que Jackson se prête à une inspection médicale. Les photos ne tolèrent aucun doute. Le gamin disait vrai. Le procureur du district peut se reprocher d'avoir péché par lenteur, multipliant les enquêtes de crainte d'avoir à convaincre un jury trop sensible à la notoriété de l'accusé. Le père de la victime l'a devancé de quelques heures, obtenant de Jackson ses 20 millions de dollars, sinon plus, contre la promesse de ne pas témoigner contre lui. 

Depuis lors, et à cause de ce ratage précis, les lois californiennes ont été modifiées pour donner à l'Etat un droit de priorité dans les poursuites et éviter l'achat des témoins et des victimes. 

La fortune de Michael Jackson, évaluée à plus de 600 millions de dollars à son apogée, à la fin des années 1980, pouvait encore, en 1993, lui permettre d'acheter le silence d'une ville entière. Autour de Neverland, les flics locaux assuraient souvent la sécurité du ranch à titre privé. A Los Angeles, un homme de main nommé Antonny Pellicano  se chargeait, au vu de tous, d'assurer l'intimidation des détracteurs de Michael Jackson. La célébrité du chanteur autant que ses remparts de dollars garantissaient sa relative immunité. En 1996, il avait eu l'audace de poursuivre en diffamation un journaliste chilien, Victor Gutierrez,  auteur d'un livre effarant sur la liaison de Jackson avec Jordie Chandler.  Le procès ne concernait pas le livre, mais les propos de l'auteur à la télévision, assurant qu'il détenait une vidéo de leurs ébats. Gutierrez, condamné à 3 millions de dollars de dommages et intérêts, a dû fuir le territoire des Etats-Unis. 

Abandonné par son sponsor Pepsi dès le scandale de 1993, la star a vu sa cote d'amour péricliter et ses ventes s'effondrer. En 2001, son album Invincible, qui a coûté 40 millions de dollars, ne s'est vendu «qu'à» 6 millions d'exemplaires, aux Etats-Unis et à l'étranger. Pour maintenir un train de vie dément - 43 millions de dollars, les trois mois de séjour à l'hôtel Four Seasons de New York, des emplettes d'une valeur de 6 millions, en quelques heures chez un antiquaire - Jackson, accablé de dettes, a dû recourir à des emprunts gagés sur l'énorme catalogue de chansons des Beatles dont il avait acquis les droits en 1985. Ses revers financiers reflètaient le chaos de sa vie personnelle.

Source : L'express. article du 24 janvier 2005 ici

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