14 Juin 2017
Comme le chef d'orchestre, la star pense diriger son univers. Mais une fois quitté le monde de la création, les choses ne se passent pas de la même façon. L'équilibre intérieur, mal assuré sur ses bases narcissiques, se trouve fragilisé par l'ampleur des changements. Quand au monde externe, n'en parlons pas ! Les médias, le public que l'on croyait pouvoir contrôler, se chargent dorénavant de faire vivre votre image. Ils l'ont adoptée et la chérissent à leur façon. La star ne maîtrise plus rien, ce qui l'oblige à renforcer son emprise sur le monde externe, ressenti comme menaçant : retards et caprices en tout genre peuvent être considérés comme une tentative désespérée pour reprendre le contrôle. Les frontières entre réalité et imaginaire deviennent de plus en plus poreuses, les frontières entre dedans et dehors plus floues. Du fait de l'inflation narcissique, la star croit que tous ses désirs se réalisent et qu'elle contrôle le monde qui l'entoure. Il n'en est rien.
La régression narcissique, doublée de l'isolement, appauvrit la relation objectale, c'est-à-dire la relation à l'autre. Les relations avec les pairs, ces égaux qui ne le sont plus, posent de sérieux problèmes. «Sa majesté la star», sous l'effet de cette régression, se transforme en un gamin qui casse ses jouets. Certaines fantaisies sont plutôt sympathiques, comme Keith Richards s'offrant un hydroglisseur pour s'amuser sur l'étang de sa propriété.
Les «caprices des stars» font partie du mythe, eux aussi. Les retards de Marilyn ou de Judy Garland sont légendaires. Il ne leur suffit pas d'être immortelles, il leur faut se faire désirer toujours plus. Faire sentir douloureusement leur puissance aux autres, qui pourtant sont déjà à leurs pieds.
Plus près de nous, je citerai la chanteuse Madonna , qui paraît-il exige que dans sa suite au Carlton soient installés une salle de sport et un siège neuf dans les toilettes, qui doit être scellé sous l'inspection impitoyable de son équipe. À propos d'équipe, on dit aussi que Céline Dion ne se sépare jamais de la sienne, constituée de 148 personnes et comprenant dentiste - ORL, physiothérapeute, et une dizaine de gardes du corps - tout ce petit monde se déplaçant en jet privé...Michael Jackson , louait tout un étage des hôtels dans lesquels il séjournait, et faisait mettre à sa disposition des jeux d'arcades, il était également assisté de toute une équipe de gardes du corps et médecins. Le staff de la star pourrait bien être à l'image de son ego....C'est ce comportement d'«addition à sa propre image» qui conduit la chanteuse Mariah Carey , quand elle loge à l'hôtel, à réserver non pas une suite mais, elle aussi, un étage entier, et à exiger que tous les écrans géants de télévision diffusent en boucle tous ses clips, les magazines où apparaissent d'autres stars qu'elle étant bannis...
Au mieux, tout cela peut passer pour de l'excentricité, le monde de la star fonctionnant comme un rêve....Me vient à l'esprit le projet de Michael Jackson, qui avait organisé le mariage de son amie Liz Taylor dans sa propriété de Neverland. Il avait imaginé de faire porter un smoking aux girafes dont il était l'heureux propriétaire, mais les animaux n'ont pas supporté le tissu, et il a fallu renoncer à cette mise en scène tout à fait onirique.
Les colères et insultes de Marlo Brando font penser à la rage narcissique, blessure d'un amour-propre à fleur de peau.
En fait, les célébrités ont besoin de la disponibilité inconditionnelle de leur entourage pour satisfaire tant leur besoin de reconnaissance et de sécurité affective que leur désir de fusion. Quand cet entourage se montre défaillant dans ce rôle, la fureur se déclenche. On comprend mieux pourquoi un problème suscite parfois des réactions disproportionnées. C'est l'équilibre narcissique tout entier qui est alors en danger. Une petite frustration devient pour la star une expérience violente de honte ou d'indignité. Lorsqu'elle se rend compte qu'elle n'est pas toute-puissante, que le monde lui résiste (et il faut compter sur la réalité pour rappeler à l'homme son impuissance), l'agressivité l'emporte.
They don't car about us ; DS ; Ghosts ; Scream etc.. sont autant de titres qui nous montrent toute la rage de Jackson après l'affaire Chandler.
MJ en veut aux médias, à Tom Sneddon, à ses accusateurs et à tous ceux qui lui ont tenu tête, il le fait savoir en chansons. Dans Scream, il est tellement en colère, qu'il jure et utilise le mot «Fuckin», entre les bruits des sirènes et tout un vacarme.
C'est le revers du sentiment d'exaltation. Cette rage chez les individus pour qui le sentiment d'exercer un contrôle absolu sur leur environnement est indispensable au maintien de l'estime de soi.
Le monde de la star fonctionne sur un monde binaire : quand elle obtient ce qu'elle veut, ça va, mais quand elle ne l'obtient pas, ça ne va pas du tout ! Le monde environnant et ses habitants sont le prolongement de la personnalité narcissique, tout comme son propre bras ou sa main. Quoi de plus normal que de vouloir contrôler ses quatre membres ? imaginons maintenant que votre propre bras ou votre main ne réponde plus, pire, que vos membres se meuvent en dehors de votre volonté : le cauchemar est insoutenable ! C'est ce qui se passe quand on a le monde à ses pieds et qu'il ne répond plus : un sentiment effrayant vous envahit.
Quand l'altérité ( la prise en compte de l'autre) s'éloigne, la manipulation et la tyrannie ne sont pas loin.
Claude François , par exemple, était connu pour malmener son entourage. Il avait notamment un rapport très particulier aux artistes qui assuraient ses premières parties. Chacun d'eux était perçu comme un rival susceptible de lui faire de l'ombre. Michel Polnareff comme Alain Chamfort en ont fait les frais. Jeunes premiers à l'époque où «Cloclo» brillait de mille feux, ils ont subi brimades et attaques, voire essuyé de véritables sabotages de leur spectacle ! Difficile d'imaginer qu'une telle pointure ait pu craindre pour sa personne.... Les plaintes potées contre Naomi Campbell par ses assistantes sont probablement de cet ordre.
Je cite encore l'exemple de Zed Zeppelin ou des Who . Les chambres d'hôtel détruites jalonnent les tournées et font aussi leur réputation. S'affranchir des obstacles et des contraintes libère la violence, la haine, voire la cruauté. John Bonham, dit Bonzo, ou Keith Moon, tous deux batteurs de ces groupes légendaires du rock, étaient connus pour leurs dégradations répétées. Tous deux mourront de cette même violence, infligée cette fois-ci à leur propre personne, l'un par excès d'alcool, l'autre par overdose de médicament.
Tous ces débordements témoignent de leur régime psychique. Le monde de la névrose s'est effacé : celui de l'interdit, des limites, de la loi - et de la souffrance de se sentir si petit face à la figure du père ou à ses représentants - est remplacé par un fonctionnement purement narcissique, où tout devient possible. (Lire ici les souvenirs de Paul Anka avec Michael Jackson). Car plus l'homme est vide, plus il se remplit de lui-même, selon Pouchkine. Le fonctionnement en processus primaire, comme dans les rêves, devient dominant, mais le risque de se noyer est beaucoup plus grand. Lors de cette révolution psychique, faite de régression narcissique et d'exaltation du moi, le bonheur ineffable du nouveau-né repu réapparaît. Mais la détresse infantile va également faire son retour...
En résumé, si tous les souhaits peuvent se réaliser, alors le désir n'a plus lieu d'être. Une star de la psychanalyse peut nous éclairer : Jacques Lacan. Pour lui, désir, besoin et demande sont à différencier. Le besoin concerne un objet réel grâce auquel le sujet va trouver satisfaction. La demande est adressée à l'autre, dans une attente d'attention et d'amour. Le désir trouve sa place dans l'écart existant entre les deux : Il concerne un objet fantasmatique (imaginé dans sa tête) et attend de l'autre une reconnaissance. Le désir est indissociablement lié au manque et à l'objet perdu, au paradis perdu de l'unité primaire à la mère. Pour Lacan, le manque est au coeur de l'être, qu'il nomme le «manque à être». L'écart définitif entre la mère et l'enfant rompt l'illusion d'une totalité et d'une complétude. C'est là qu'il situe l'origine du désir : dans la quête de ce qui pourrait combler le manque. Mais ce qui pourrait le combler et interdit ou inaccessible, et cet interdit préserve le désir et donc la continuité du sujet. Quand tous les désirs sont comblés, que se passe-t-il ? Advient le vide. La perte du désir, car il n'y a plus rien à désirer ou à attendre, à espérer. Et puis le manque à être est d'une autre nature, il est impossible à combler par la consommation des biens matériels. Alors ça tourne mal. On assiste à une surenchère dans la recherche du plaisir et à la prise de tous les risques, pour accéder à toutes les ivresses ; avec pour conséquence la déprime et une sorte d'addiction à soi, à son image. Plus le vide s'installe, plus on essaie de le remplir par l'excitation. On est plein et vide à la fois. L'écoeurement grandit, la nausée est là, la star n'est toujours pas rassasiée et l'insatisfaction domine : ♪♫«I can get no satisfaction». No satisfaction, no satisfaction, no satisfaction ♪♫
À cette étape de la célébrité intervient une notion importante : le «manque du manque» (Concept décrit par Claude Olievenstein au sujet de la toxicomanie)
Franck Sinatra aimait à dire : «je ne veux pas une tonne d'argent, juste un dollar de plus que ce dont j'ai besoin». Ce qui se traduit pas : «Je ne veux pas supporter le moindre manque». Revenir à un régime plus calme, retrouver l'apaisement, voudrait dire retrouver aussi la frustration. C'est impensable !!!