6 Juillet 2018
L'intuition est l'art, spécifique à l'esprit humain, d'élaborer une réponse correcte à partir de données qui, par elles-mêmes, sont incomplètes, voire trompeuses.
Daniel Kahneman est le premier psychologue à avoir été récompensé d'un prix Nobel d'économie.
Kahneman commence sa carrière académique à L'université hébraïque de Jérusalem en 1961, au sein du département de psychologie. Ses premiers travaux prennent pour objet d'étude la perception visuelle et l'attention. Sa première publication parait dans la revue Science et s'intitule « Le diamètre de la pupille et la mémoire ». Il est, en parallèle, visiteur à l'université du Michigan (1965–1966) et à l'université de Cambridge au sein de l'unité de recherche psychologique appliquée (Applied Psychological Research Unit) durant les étés 1968 et 1969. En 1966/1967, il est chercheur au Centre des études cognitives (Center for Cognitive Studies) et maître de conférences en psychologie à l'université Harvard.
En 2002, Kahneman reçoit le prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d'Alfred Nobel (c'est le nom officiel du prix Nobel d'économie) en dépit du fait que, fondamentalement, il n'est pas économiste mais psychologue, pour ses travaux novateurs fondant la théorie des perspectives. Kahneman affirme n'avoir jamais pris un seul cours d'économie et que ce qu'il connait en la matière, il le doit à ses collaborateurs Richard Thaler et Jack Knetsch.
En 2007, l'Association américaine de psychologie (American Psychological Association) lui décerne un prix pour l'ensemble de son œuvre et de ses contributions à la psychologie.
Dans Système 1 / Système 2 - Les deux vitesses de la pensée (Flamarion, 2016), il nous aide à comprendre comment réagit notre cerveau face à une prise de décision, comment fonctionnent notre intuition et notre raisonnement, et quels sont les divers biais cognitifs qui influencent nos croyances, nos préférences, nos jugements et même nos souvenirs!
Daniel kahneman distingue deux types de systèmes qui sont à l'oeuvre lorsque nous activons notre cerveau. Le système 1 est celui fondé sur nos intuitions, nos émotions. C'est le mode de la pensée automatique, rapide. (Le titre original du livre de Kahneman est d'ailleurs Thinking, fast and slow, «penser rapidement et lentement»). Ce système est à la fois «à l'origine de toutes nos erreurs, mais aussi de tout ce que nous faisons de bien».
Plus lent, le système 2 est celui qui nous permet de mettre en oeuvre des activités mentales intenses, de résoudre des problèmes complexes. Cela nécessite de l'attention et de la concentration. C'est avec ce système que nous prenons nos décisions réfléchies. L'effort mental qui résulte de son activation se traduit sur le plan physiologique notamment par une dilatation des pupilles, une accélération du rythme cardiaque et une consommation accrue de glucose dans le cerveau.
DEUX SYSTÈMES COMPLÉMENTAIRES
Les deux modes de pensée dont nous disposons sont à envisager avant tout dans leur complémentarité, qui permet de minimiser l'effort et d'optimiser la performance. Le système 1, celui de l'intuition, nous permet de réagir vite, de prendre la majorité de nos décisions au quotidien, de mettre en oeuvre nos habitudes et manière quasi automatiques (Comme par exemple, lorsqu'on se lave les dents). Il ne s'arrête jamais, mais dès qu'il rencontre une difficulté, un problème complexe à résoudre, il le soumet au système 2, qui prend alors le contrôle.
SAVOIR POUR MIEUX EXPLOITER SON INTUITION
En prenant conscience des deux modes de pensée qui sont en oeuvre dans notre cerveau, nous pouvons améliorer nos prises de décision.
Daniel Kahneman nous met notamment en garde contre les défauts de chaque système. le système 1, celui de l'intuition, est particulièrement touché par ce que l'on appelle des «biais cognitifs»
- 3 EXEMPLES DE BIAIS COGNITIFS...
1- Le biais de confirmation.
Nous ne tenons souvent compte que des informations qui confirment nos croyances ou qui vont à l'encontre des croyances auxquelles nous n'adhérons pas.
2- Le Biais rétrospectif.
Nous sommes capables de nous convaincre a postériori que nous avions jugé prévisible ou probable un événement. Autrement dit, nous modifions parfois le souvenir de nos intuitions lorsqu'elles sont révélées inexactes. Nous minimisons nos convictions passées, aussi fortes qu'elles aient été, s'il s'est avéré que nous avions eu tort ou si nous avons été déçus par la suite.
3- L'illusion de corrélation.
Nous percevons parfois (et même souvent !) des relations fortes entre deux événements complètement indépendants. Une devinette de l'écrivain et humoriste américain Mark Twain illustre parfaitement ce biais : «Quel est l'endroit le plus dangereux au monde ? Le lit, parce que 99 % des gens meurent dans un lit !»
L'auteur parle même «d'illusions cognitives», par analogie avec les «illusions d'optique». Mais les biais cognitifs sont autrement plus difficiles à discerner que ces dernières. À défaut de nous aider à prendre les bonnes décisions, le fait de le savoir nous permet de les prendre en meilleure connaissance de cause.
DÉVELOPPER SA PENSÉE RATIONNELLE POUR ALLIER LA RAISON ET L'INTUITION.
Certes, entre intuition et réflexion, il y a tout un monde. Pourtant, l'être humain est capable des deux. Pourquoi ne pas les allier plutôt qu'en privilégier une ou l'autre, plutôt qu'en faire un usage incomplet ? Lorsque la pensée rationnelle est intuition s'unissent, l'esprit est réellement prêt à faire face à toutes les situations.
Le développement intellectuel requiert un entrainement régulier de la pensée rationnelle, celle que l'on base sur nos connaissances, nos expériences, nos observations. Pour ce faire, plusieurs méthodes et activités efficaces s'offrent à nous.
LA CURIOSITÉ. - Face à la nouveauté, à des sujets qu'on connait mal, faire preuve de curiosité permet de développer nos connaissances : Lire des articles, faire des recherches, poser des questions...
LA DISCUSSION. - Entretenir des conversations, défendre son point de vue, peut-être un exercice gratifiant. Il faut organiser sa pensée, puis l'exposer de manière claire et compréhensible. Essayer de comprendre le point de vue de votre interlocuteur nous ouvre à des modes de raisonnement différents des nôtres, et aiguise notre esprit critique.
LA LECTURE. - Pratiquée régulièrement, la lecture de livres ou de journaux permet d'étendre son vocabulaire, d'entraîner sa mémoire et d'améliorer ses capacités de concentration.
LE SUIVI DE L'ACTUALITÉ. - S'intéresser à l'actualité, en lisant les journaux par exemple, permet de comprendre le monde dans lequel nous vivons, son fonctionnement ainsi que ses règles, et de se tenir informé de ce qui s'y déroule. Ces activités sont autant de moyens d'approfondir ses connaissances sur le monde. En les pratiquant, nous cultivons notre pensée rationnelle, mais nous développons aussi un esprit critique, qui nous permettra de former notre propre opinion sur n'importe quel sujet.
LA RAISON INTUITIVE. - En adoptant un esprit critique, votre comportement changera : plutôt que de vous fier à ce que l'on vous dit d'une situation, vous serez capable de la considérer à votre manière, et ainsi de déterminer l'attitude que vous souhaitez adopter. Cela vous sera très utile lorsque vous hésiterez à accorder votre confiance, lorsque vous vous trouverez dans une situation nouvelle ou lorsque vous devrez prendre une décision difficile.
Ce comportement rationnel consistant à se poser la question de manière consciente et à y répondre en avançant des arguments deviendra bientôt un automatisme. Vous le nourrirez inconsciemment de vos intuitions, pour développer votre capacité à évaluer les situations. L'association de ces deux modes de pensée caractérise un esprit ouvert et perspicace. C'est d'ailleurs une tendance actuelle de notre société de former des cerveaux à la fois rationnels et intuitifs. Ainsi, de grandes écoles de commerce, comme HEC Paris, enseignent aujourd'hui aux étudiants à développer leur intelligence intuitive. Des chefs d'entreprise affirment qu'ils s'y fient régulièrement.
Après tout, l'être humain est doué de plusieurs types d'intelligence. Pourquoi ne pas toutes les exploiter.
À savoir
INTELLIGENCE RATIONNELLE OU INTUITIVE ?
Les questions spontanées qui proviennent de l'esprit rationnel sont directes, du type «Où ? Qui ? Comment ? Pourquoi ? ...»
En revanche, celles qui génèrent l'esprit intuitif sont moins directes et plus personnelles :
« À quoi cela me fait-il penser ? Qu'est-ce que je ressens face à cela ? Pourquoi suis-je mal à l'aise avec cette version des choses, ou cette personne ? » Ces questions en partie inconscientes, font naître des émotions, engendrent des associations d'idées et poussent votre cerveau à comparer la situation actuelle à celles qu'il a en mémoire.
Lorsque vous êtes confronté(e) à une situation compliquée, vous n'aurez pas à faire l'effort de générer ces deux types de questions : grâce à l'entrainement de votre esprit rationnel, elles viendront toutes seules.
En revanche, il faudra les prendre en compte, même et surtout si elles se contredisent en partie.
La force de vos décisions et la justesse de vos choix dépendent en grande partie de la confrontation de ces deux types d'intelligence.
«Naviguer entre les écueils»... Cette très belle expression s'applique parfaitement à l'exercice de l'esprit critique. Les «écueils», ce sont à la fois les moments où nous nous faisons avoir par manque de vigilance. Entre la crédulité et le rejet en bloc, mieux vaut une dose de scepticisme et tenter de garder le cap, en n'hésitant pas à remettre en question les discours qui se présentent à nous.
Exemple :
LES ÉLECTEURS SONT-ILS DES ENFANTS À QUI IL FAUT RACONTER DES HISTOIRES ?
Le Storytelling est une technique de communication qui consiste à raconter une histoire au public qu'on espère convaincre. L'idée est de susciter l'intérêt d'un auditoire en le divertissant. le récit choisi permet ainsi à ceux qu'on espère séduire de s'identifier, et, de cette façon, d'emporter leur adhésion.
Cette technique, d'abord utilisée en marketing, a été décrite par Christian Salmon dans Storytelling : La machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits. Tout le monde n'est pas d'accord sur la définition du storytelling. Pour certains, il s'agit d'une simple utilisation d'anecdotes et de récits ponctuels dans le cadre d'un discours d'une autre nature. Pour d'autres, cela va plus loin et il faut, pour pratiquer le storytelling, proposer un récit récurrent qui permet de construire un mythe.
Barack Obama fournit, selon Christian Salmon, un parfait exemple de maniement du storytelling : «Pour Obama, David Axelford, son conseiller, a crée une véritable légende : celle d'un homme global à l'ère de la globalisation. Il a mis en scène le voyage du héros : Hawaii, Djakarta, Los Angeles, Chicago, Washington....C'est aussi un voyage dans le temps, jalonné par les références à Abraham Lincoln ou à Martin Luther King qui l'inscrivent dans l'histoire américaine.» Sommes-nous pourtant condamnés à nous laisser étourdir par des histoires à dormir debout ? Pas nécessairement, car le spécialiste de sciences politiques, Benjamin Berut, nous explique que les récits, aussi puissants soient-ils par leur pouvoir illustratif, peuvent, quand ils sont mensongers, être révélés comme tels par les médias.
Ainsi, en 2008, le parti républicain, aux États-Unis, avait utilisé l'histoire de «Joe le plombier», censé incarner un Américain moyen persuadé que Barack Obama allait ruiner les citoyens en leur faisant payer trop d'impôts. Mais Joe n'était pas un citoyen exemplaire : «Cette histoire a avorté, écrit B.Berut, lorsque les médias ont révélé que celui qui reprochait au candidat Obama de proposer trop d'impôts, et auquel le camp républicain voulait faire endosser le rôle de l'Américain moyen, travailleur et honnête, ne payait déjà pas les siens.» Le récit a été décrypté et a donc perdu son efficacité. Néanmoins, dans de nombreux cas, le pouvoir des histoires est réel.
L'APPEL À L'ÉMOTION
Quand on est face à un appel à l'émotion, il faut tenter de rester attaché aux faits.
LE RASOIR D'OCKHAM
C'est un outil critique tout simple est très efficace. Ce principe de raisonnement, que l'on appelle parfois aussi «principe d'économie» ou «principe de simplicité», a été élaboré au XIVème siècle par le philosophe anglais Guillaume d'Ockham. Quand plusieurs hypothèses peuvent être choisies pour expliquer un évènement, la plus vraisemblable sera la plus simple, celle qui implique le moins grand nombre de facteurs ou d'évènements. Je ne sais pas pourquoi ce principe est appelé un «rasoir», mais on peut penser que c'est parce que l'utiliser permet de «raser tout ce qui dépasse», c'est à dire les hypothèses superflues.
Exemple : Si il ou elle ne vous rappelle pas, il ou elle peut avoir perdu votre numéro, s'être fait voler son téléphone, avoir eu un accident de voiture. Ou bien (rasoir d'Ockham), tout simplement, ne pas avoir envie de vous rappeler.
C'est-à-dire qu'il est inutile de chercher une explication compliquée, faisant appel à des principes hors du champ de l'expérience (essences des universaux, volonté divine, miracle, extra-terrestres...), quand une explication simple, à partir de ce que nous connaissons déjà, suffit à rendre compte d'un phénomène qui se manifeste à nos sens.
Guillaume d'Ockham rejette donc les concepts de substance, de cause efficiente, de puissance.. c'est-à-dire tout ce qui, sous prétexte de mieux comprendre la réalité, ne fait que l'obscurcir sous un voile. Le principe de parcimonie de la pensée, de l'élégance des solutions est un des principes de la logique et de la science moderne et fait de Guillaume d'Ockham un précurseur de l'empirisme anglais.
Albert Einstein l'a reformulé de la manière suivante : «On devrait tout rendre aussi simple que possible, mais pas plus».
Le rasoir d'Ockham est une méthode de discernement en esprit critique, particulièrement utile pour l'analyse d'une théorie du complot. Elle ne doit pas être interprétée comme une apologie de la simplification, mais comme une incitation à ne pas complexifier ce qui n'a pas lieu de l'être.
De Socrate à Bergon en passant pars Descartes et Kant, d'éminents philosophes se sont intéressés à l'intuition. Qu'ils la fassent remonter ou non à des sources divines, ils sont nombreux à se référer à cette notion un peu vague pour expliquer leur propre compréhension immédiate des phénomènes. Mais l'intuition des philosophes n'a pas grand-chose à voir avec ce que nous dit notre petit doigt....
Les philosophes sont littéralement les amis du savoir et de la sagesse. Ils s'efforcent de regarder le monde en laissant de côté leurs sentiments, leurs émotions, leur corps afin d'en avoir une vision plus globale, plus conceptuelle et d'en comprendre les principes premiers. Il n'est pas toujours facile de comprendre leur langage particulier et leurs notions abstraites, mais ce qui est sûr c'est que l'intuition leur tient à coeur. Ils opposent sont caractère immédiat et absolu à la lenteur du raisonnement et cherchent à définir les rapports qu'elle peut avoir avec la raison et la conscience.
LE DÉMON DE SOCRATE
Au Vème siècle avant J.-C., l'oracle de Delphes affirme que le philosophe grec Socrate est l'homme le plus sage de son temps. Celui-ci s'en étonne. Humble par nature, il professe même :«Je sais que je ne sais rien». Aussi considère-t-il que ses idées et ses théories ne peuvent lui être inspirées que par une instance supérieure : «Une voix divine se fait entendre pour m'indiquer ce que je dois faire». C'est ce qu'il appelle son «daimôn» et qui ressemble fort à de l'intuition.
En fait Socrate a été traîné en justice pour incroyance et corruption de la jeunesse.
INTUITION ET RAISON
Quand on parle d'intuition, on évoque la faculté d'avoir une connaissance directe, mais sans construction mentale. Les philosophes ont cherché à préciser cette notion. Ils différencient l'intuition sensible, liée aux sensations, et l'intuition intellectuelle, qui fournit un point de départ, développé par la suite par raisonnement.
Un autre fameux Grec, Aristote, affirme quant à lui que tout principe ne peut être connu que par intuition. Ainsi, nous savons intuitivement que tous les êtres sont mortels. Nos expériences personnelles nous amènent à croire que cela est vrai (nous savons que les gens meurent de vieillesse, maladie ou accident car nous en avons fait l'expérience). Nous pouvons en déduire le principe qu'un être humain est mortel. Pourtant, ce n'est pas le fruit d'une expérience sensible.
DEUX OPÉRATIONS MENTALES : INDUCTION ET DÉDUCTION
Comment peut-on être sûr qu'un principe est universel ? L'être humain est capable de parvenir à un principe général à partir d'observations particulières. C'est l'induction. On tire des lois à partir des faits. C'est par ce principe que se construit la connaissance humaine. Par exemple, si tous les oiseaux que je vois volent, je peux supposer que tous les animaux qui possèdent des ailes volent. Or c'est faux : les autruches, entre autres ne volent pas. L'induction nous permet de nous adapter à notre environnement, mais elle n'est pas valide scientifiquement. Elle procède de nos expériences personnelles, d'où nous tirons des principes généraux.
A l'inverse, partant d'une ou plusieurs propositions appelée en logique «prémisses», la déduction permet d'atteindre une conclusion dite «nécessaire».
L'intuition est la saisie immédiate de la vérité de l'idée par l'âme, indépendamment du corps. - Platon -
L'intuition est la saisie immédiate de la réalité du monde par le corps indépendamment de l'âme. - Épicure -
Il n'y a pas d'autres voies qui s'offrent aux hommes, pour arriver à une connaissance certaine de la vérité, que l'intuition évidente et la déduction nécessaire. - Descartes -
À vous de jouer !
Déduction, induction ou intuition ?
Déterminez de quel type relève chacun des énoncés suivants.
Réponse : 1. Induction - 2. Intuition - 3. Déduction - 4. Déduction - 5. Intuition - 6. Induction - 7. Déduction.