30 Novembre 2018
L’artiste new-yorkais KAWS a choisi de représenter Michael Jackson entouré de gants : non pas son emblématique gant pailleté, mais celui à quatre doigts de Mickey Mouse, son seul rival. (Jackson voulait devenir aussi célèbre que Mickey)
Pendant toute sa carrière, le Roi de la pop, en plus de devenir une légende pour des millions de fans, aura également été une source d’inspiration pour de nombreux artistes. C’est le point de départ de l’exposition Michael Jackson On the Wall – soit « Michael Jackson sur les murs », jeu de mots malin avec le titre de son album Off the wall (1979) – qui se tient au Grand Palais à Paris du 23 novembre 2018 au 14 février 2019.
2 décembre 1983, Thriller envahit les écrans de la jeune chaîne musicale MTV. Et c'est la révolution. Musicale, médiatique, économique, stylistique. Quatorze minutes, 900 000 dollars de coûts de production, 9.5 millions d'exemplaires VHS vendus : Thriller est une bombe atomique artistique et commerciale.
« Michael Jackson voulait désespérément que je le transforme en monstre» raconte John Landis.
Pourtant, le cinéma d’horreur était encore considéré comme un sous-genre à l’époque. Y compris, souvent en tout cas, aux États-Unis…
Un peu comme Danny Aykroyd et John Belushi l’avaient fait pour The Blues Brothers, j’ai surfé sur la popularité de Michael pour aboutir à une sorte de court-métrage très cinématographique. C’est pour cela que «Thriller» s’étale sur 13 minutes, la durée d’un cartoon avec Bugs Bunny. Et il a même été projeté en salles à Los Angeles. Je n’étais pas préparé à ça… Ce fut un succès démentiel. Pour l’anecdote, vous avez remarqué que c’est Rick Baker (en charge des SFX du clip-ndlr) qui joue ce zombie sortant de la crypte, avec les yeux en l’air ? Et que Mick Garris (cinéaste américain, un des spécialistes des adaptation d’écrits de Stephen King-ndlr) incarne ce mort-vivant grognon apparaissant aux côtés de Michael Jackson ?
Le clip de Thriller élève les enjeux de production à un niveau défiant toute concurrence. Synopsis, chorégraphie, effets spéciaux, casting : Tout est démesuré.
Entouré en studio par les meilleurs, et notamment Quincy Jones aux manettes de ses albums, Michael Jackson, qui a le jeu de la scène dans les tripes, utilise son corps tout autant que sa voix pour marquer son histoire.
Et tous les moyens sont bons pour y parvenir : défendre des valeurs, prendre des exemples précis pour illustrer une démonstration, jouer sur la corde sensible pour émouvoir et susciter l'adhésion afin de durer longtemps. etc...
Les grands rendez-vous de Jackson sont ainsi rythmés autant par ses tubes que par ses silhouettes. À chaque fois il voit juste, (ou l'on voit juste pour lui). Même lorsqu'il flirte avec le mauvais goût, tout lui est pardonné. C'est Michael. Et ses choix vestimentaires sont comme des coups de poing, des signatures qui concluent l'écriture d'un album et gravent les esprits.
John Landis, en interview, a souvent comparé Michael Jackson au Christ :
«C’était pour expliquer comment les gens réagissaient en le voyant. Après Thriller, c’était incroyable. Les gens le voyaient et avaient des crises d’épilepsie ou des orgasmes ou tombaient dans les pommes. C’était comme être avec le Messie. Vous traîniez avec Michael et soudain 12.000 personnes accouraient en criant. C’était complètement fou».
A cette époque, en 1983, Michael Jackson était «jeune, heureux, enjoué», se souvient John Landis. «Sur Thriller, c’était très clair que Michael travaillait pour moi. On s’est beaucoup amusés sur ce tournage. Regardez le making of Thriller, c’est très proche de la réalité». Lorsqu’il a retrouvé huit ans plus tard le King of Pop pour Black or White, tout avait changé :
«C’était beaucoup plus étrange», confirme-t-il. «Il avait fait des trucs bizarres à son visage. C’était triste. Michael était beau. Regardez la couverture d’Off the Wall ! Il s’est mutilé ! C’est évidemment de la haine de soi. C’était déprimant. Il était entouré par des gens de merde. Je n’aime pas beaucoup sa famille. Je détestais son père - qui me le rendait bien ! C’était un enfant battu. Son père lui foutait des raclées. Ce n’était pas quelqu’un de bien. Sur Black or White, j’étais là pour protéger Michael. Il voulait faire des choses qui étaient juste trop bizarres. Il voulait - et il l’a fait plus tard d’ailleurs - construire cette énorme statue de lui. Je lui ai dit : Tu te prends pour Mussolini? C’est quoi ces conneries? «Il avait des idées tordues».
Toutes les représentations de Jackson à l’exposition Michael Jackson On the Wall ne sont pas flatteuses. Fans, Critiques, écrivains et autre artistes devraient mieux regarder la vie controversée, dérangeante et troublante de Jackson, et se dire «Que puis-je faire et apprendre de tout cela ? » :
Cette pièce ci-dessus sans titre est de feu Keith Haring (1984) - Haring est l'un des artistes présentés dans l'exposition qui a personnellement connu Jackson !
Autre exemple : L'artiste, américain Jordan Wolfson s'est attaqué au côté sombre de l'héritage de MJ, sa pièce «Neverland» (2001) éclaire juste les yeux de Jackson quand en 1993, il dément les allégations de pédophilie :
Trois sérigraphies de Warhol sont présentes, accompagnées de photographies du roi de la pop et du roi du pop art en conversation au fameux studio 54 ; clic → : ce temple de la drogue, du sexe désinhibé et de tous les excès.
L'immense portrait équestre de Jackson par Kehinde Wiley, initialement commencé quelques mois avant la mort du chanteur en 2009 et achevé en 2010, est basé sur le portrait de l'artiste flamand Peter Paul Rubens, de Philippe II d'Espagne. Wiley ne représente pas MJ à la fin des années 2000, mais pendant l'ère Bad. Vêtu d'une armure, Jackson est survolé par des anges nus, alors qu'une bataille fait rage au bas de la colline. L'artiste semble indifférent au drame qui se déroule sous lui et dégage l'assurance d'un monarque absolu.
Dans l'une des utilisations les plus évidentes du symbolisme, le photographe américain David LaChapelle emprunte l'iconographie catholique pour dépeindre le chanteur comme un martyr. La pièce : Tiens-moi, porte-moi hardiment, montre Jésus berçant le corps sans vie de Jackson dans une pietà reconfigurée. Le bras droit pendant de Jackson pointe son gant à paillettes et le chanteur porte des vêtements de scène, suggérant qu'il s'est sacrifié pour divertir le monde. Achevé en 2009, c'est une illustration précoce et plutôt extrême du zèle avec lequel les artistes et les fans ont recherché la rédemption posthume de Jackson. LaChapelle place aussi Jackson à la place de Jésus pour conférer un récit mort-persécution de l'artiste. Jackson a l'air petit, dépourvu du pouvoir et du magnétisme qu'il a exercé à son apogée. Le roi de la pop lui-même avait flirté avec des allusions au Christ alors qu'il était encore en vie, attirant le mécontentement du leader du groupe Pulp. Jarvis Cocker, avait envahi la scène aux Brit Awards de 1996 pour protester contre les prétentions messianiques de Jackson. «Il faisait semblant d'être Jésus» a déclaré Cocker.
► L'artiste new-yorkaise Lorraine O'Grady relie Jackson au poète français du XIXème siècle, Charles Baudelaire. (Une ambition tragique des plus tragiques) O'Grady place côte à côte des photographies de Jackson et de Baudelaire dans quatre diptyques intitulés «Le premier et le dernier des modernistes» (2010) afin de présenter deux créateurs qui, à son avis, ont été détruits par leur désir d'être comme Dieu. Pour O'Grady, personne n'avait une vision de l'art plus divine que celle de Michael Jackson, qui dans son désir utopique de changer le monde (selon elle, il a changé de visage pour devenir l'incarnation absolue du monde entier). Le fait de placer Baudelaire et Jackson à l'une des extrémités d'une lignée artistique élève les actions de ce dernier, qui semblaient être une folie aux aspirations icariennes d'un pionnier. La vie de Jackson devient alors un récit édifiant, mais le spectateur peut admirer le culot de sa protagoniste. Tout comme le poème de Baudelaire «Les lamentations d'un Icare», l'écrivain et l'artiste se sont retrouvés avec des ailes cassées pour avoir voulu embrasser les nuages !
► Le montage vidéo Untitled (An Audience) de Rodney McMillian, artiste basé à Los Angeles, est centré uniquement sur le public lors du concert hommage à la carrière solo de Jackson au Madison Square Garden en 2001. Les fans crient, sanglotent et dansent, Jackson n'apparait jamais. Avec la superstar retirée du film par McMillian, l'effet de Jackson est démontré dans la folie bacchanalienne du public.
► Une salle entière, se concentre non pas sur Jackson mais sur ses fans. L'artiste sud-africaine Candice Breitz a filmé 16 fans germanophones de MJ de différents âges et races, chantant Thriller. «C'est un travail engageant et émouvant qui montre à quel point Jackson représente tout ceux qui aiment sa musique».
► Quel que soit le fossé qui les sépare des idoles, les fans en viennent souvent à considérer ces célébrités comme une extension d'eux-mêmes. Self Portrait at Seven Yeats Old (2005) de l'artiste multimédia Glenn Ligon qui souligne à quel point un si grand nombre de jeunes fans noirs de Jackson s'identifient au chanteur. Ce n'est pas littéralement une peinture de Ligon. Au lieu de cela, il s'agit d'un portrait pointilliste obsédant d'un jeune Jackson - Un rappel voulant dire que de nombreux enfants noirs de la fin des années 60 et du début des années 70 ont aimé le halo des Jackson's Five et leur modeste début dans le Midwest et se sont retrouvés sans eux. «Vous pouvez vous identifier de manière si intense avec les personnalités de la culture pop, qu'elles font partie de la façon dont vous vous voyez dans le monde», a expliqué Ligon en 2004.
Sans métamorphose physique, voilà à quoi aurait ressemblé le roi de la pop dans les années 2000 selon Hank Willis Thomas :
Dans la brochure, la critique Margo Jefferson appelle Jackson «Un dieu tricheur postmoderne» en gardant à l'esprit «le sentiment viscéral qu'il a suscité et continue de susciter en nous».
Cette exposition est comme son sujet, bizarre, la réalité d'un enfant star qui est devenu l'un des artistes musicaux les plus célèbres du monde est souvent englobée dans les mythes et les légendes.
On ne pouvait pas s'attendre à autre chose, étant donné que l'exposition a été organisée en collaboration avec la Jackson Estate. Néanmoins, dissimuler les scandales, sinon l'horreur pure et simple, qui s'est attachée à Jackson au cours des deux dernières décennies de sa vie n'est certainement pas une inadvertance. Après tout, elles faisaient incontestablement partie de Jackson. Et si quelqu'un incarnait cette ignominie, c'était bien lui !
De nombreuses oeuvres n'ont pas non plus abordé ce qui concerne la réelle vérité sur la nature de la gloire : qu'elle est notoirement inconsistante, et que la quasi-totalité de la renommée s'efface au fil du temps. Prenons les affirmations accordées à Jackson - à savoir qu'il était à son époque la personne la plus dépeinte, que ce soit dans les arts visuels ou dans le monde entier. Si ces mots ont une sonorité familière, c'est parce que des déclarations pratiquement identiques ont été faites à travers les temps modernes, à propos d'un personnage ou d'un autre, d'individus dont le niveau de popularité semble incroyablement incroyable : Elvis Presley, Lady Di , Marilyn Monroe, James Dean, Buffalo Bill, par exemple.
Cependant, dans le cas de Jackson, les choses sont encore différentes. Nous vivons dans une sorte de présent culturel perpétuel très lucratif. C'est du moins le sentiment mi-cauchemardesque et enchanteur qui se cache derrière l'une des oeuvres les plus convaincantes du spectacle, la projection vidéo de Michael Robinson, These Hammers Don't Hurt Us (2010). Montage stroboscopique et psychédélique de séquences échantillonnées ; il associe divers extraits sur le thème de l'Égypte ancienne - documentaire de History, films de momies, plusieurs des vidéos les plus époustouflantes de Jackson et des concerts live - pour présenter le roi de la pop comme une sorte de divinité sans mort, momifiée dans les médias. Son apothéose ! Enfin, accompagné d'Elizabeth Taylor dans son rôle principal de Cléopâtre (1963) Jackson monte, entrant dans sa vie après la mort comme une entité éthérée, virtuelle, incandescente, omniprésente, célèbre à jamais.
Tout est fait pour faire perdurer le mythe : Illusion, fable, légende urbaine, représentation amplifiée, déformée par l'imaginaire collectif, en apparence opposé au discours rationnel ; au point que certains croiront davantage encore que Jackson n'est pas mort ! (Nous savons tous, bien sûr, qu'il vit à Darlington... n'est-ce pas ? ) - Tout ce qui étonne la faible pensée humaine, trouve une solution dans le récit mythique !
► Certains artistes traitent de la vie de Jackson du point de vue de ses admirateurs. Catherie Opie a conçu l'archétype de la table de chevet des fans :
Le bon côté de cette exposition nous montre la façon dont les gens réagissent lorsqu'ils idolâtrent quelqu'un : l'obsession sur la célébrité, la recherche désespérée d'idoles, la pulsion à adorer, l'impact qu'une star peut avoir sur le monde et la façon dont elle le fait réagir. l'humanité à toujours eu des idoles, et cet éclairage appelle à se poser la question suivante : Pourquoi continuons-nous à les vénérer au XXIème siècle ? C'est inquiétant quand on y pense vraiment !
S’il est légitime d’apprécier une personnalité ou une autre pour ce qu’elle a à nous offrir dans le cadre de son activité, il est par contre erroné d’en faire un dieu. car la vénération ne devrait porter que sur ce qui est parfait et qui peut réveiller en nous les intuitions les plus élevées.
On The Wall s'expose en Europe, les USA sont soigneusement évités, pourquoi donc ? Les musées américains et leurs visiteurs, refusent-ils et s'indignent-ils de voir posé sur leurs murs un artiste accusé d'avoir agressé sexuellement des enfants ? Sans doute ...
En choisissant de présenter l'exposition Michael Jackson : On The Wall au Grand Palais à Paris, la Réunion des Musées Nationaux visait Noël comme le font les grands magasins avec leurs vitrines qui sont aussi le théâtre de saynètes surprenantes où se côtoient automates animés et décors féeriques dans un monde interactif. Les visiteurs viennent des quatre coins du monde pour également admirer les couleurs féériques données aux rues de Paris en cette période festive.
D'autre part, annoncés dès 2010, les travaux de rénovation du nouveau Grand Palais ont été repoussés d'année en année : le coupable ? Les coûts de rénovation. Dilemme passionnant. Celui d’un pays fier de ses bijoux mais qui n’a plus les moyens de les entretenir.
Il y a forcément un côté populiste mais surtout monétaire à faire rentrer le monde de l'entertainment, dans celui de l'art.
Plutôt qu'un personnage influent sur son époque, Michael Jackson est pareil à ces «phénomènes» qu’exhibait dans son cirque Phineas Taylor Barnum, dont le portrait apparaît sur la pochette de l'album «Dangerous» de Mark Ryden. Ryden incarne surtout les principes du pop art poussés à l’extrême : tout se vaut, tout se combine, tout se copie. Pour le triomphe par K.O. du kitsch, ce «mauvais goût» qui, jadis populaire et méprisé des élites, s’est finalement niché dans l’art contemporain… !
L'autoproclamé «King of Pop» fut un jeune prodige de la soul, un show-man sidérant à une époque, mais aussi un de ces monstres pitoyables, victime de lui-même. En gommant la question de la couleur de sa peau, l'abus de drogues et les accusations de pédophilie, l'exposition participe au mythe glamour d'une industrie de l'hagiographisation : c'est à dire de «l'évacuation du réel».
Pour pouvoir visiter cette exposition, vous devrez tout de même débourser 18€ en tarif plein. (l’argent va à l’argent, l’air est connu les paroles aussi, c’est la rengaine du capitalisme) Alors que le jeune homme pimpant d'«Off the Wall» n'était plus depuis longtemps......
L'industrie du divertissement et la succession de Jackson ont continuellement besoin de vendre leur fonds de commerce. Les nostalgiques et les simples curieux se demanderont certainement ce que cette programmation a de commun avec, Joan Miró présenté à l’image de ses amis Jacques Prévert et André Breton, et dont la rétrospective est posée en même temps que celle de Jackson au Grand Palais.
Si l'exposition de Miró se ferme sur cette déclaration : « Les gens comprendront de mieux en mieux que j’ouvrais des portes sur un autre avenir, contre toutes les idées fausses, tous les fanatismes».
L'exposition On the Wall aurait pu se fermer sur cette information : «l'art n'était pas ses disques ou sa danse ; c'était lui. Il était le vrai thriller, l'homme qui ne connaissait pas la peur».