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Haïti chérie, disent les Haïtiens !

Haïti chérie, disent les Haïtiens !

Haïti est une nation caribéenne à l'est de Cuba. Elle occupe le tiers ouest de l'île d'Hispaniola, qu'elle partage avec la République Dominicaine. Plus de 10 millions de personnes vivent en Haïti,  la plupart sont des descendants d'esclaves africains s'étant révoltés contre leurs maîtres coloniaux français et ayant obtenu leur indépendance en 1804.  Pendant la plus grande partie de son histoire, Haïti est rongée par des conflits internes, que l'on parle de problèmes économiques, politiques et sociaux ou de désastres naturels aux proportions catastrophiques. Haïti est le pays le plus pauvre de l'hémisphère occidental. 

Nous sommes en décembre 1997, après une escale à la Guadeloupe, le Boeing d'Air France se pose sur la piste de Port-au-Prince, Haïti. La porte de l'appareil s'ouvre, et c'est immédiatement la chaleur tropicale qui nous envahit. Impression que tous les voyageurs connaissent bien. 

Le débarquement des passagers se produit dans le brouhaha, les rires et la poussière. Puis notre regard est attiré par un grillage d'environ deux mètres de haut, sur lequel des Haïtiens sont accrochés, de long en large et de bas en haut, ils tendent leurs mains dans l'espoir d'obtenir quelques dollars...! Ils étaient cinquante, peut-être plus à être suspendus à cette clôture ! Habituellement j'adore ce moment ou je foule une nouvelle terre pour la première fois. Mais là, c'était bouleversant !  On suit les autres passagers à l'intérieur de l'aéroport pour présenter nos papiers, et récupérer nos bagages,  le peu d'air brûlant brassé par les ventilateurs stagne dans le hall poisseux.  Un gentil organisateur,  nous dirige  vers un mini-bus de l'hôtel qui assure le transfert de l'aéroport  au club Med Magic Haïti, situé sur la côte des Arcadins, à une heure et demie de route au nord de Port-au-Prince. Les quelques premiers kilomètres que l'on emprunte à la sortie de l'aéroport donnent le la.  Port-au-Prince, ne brille pas par la beauté de son architecture. Seuls le Palais présidentiel et la cathédrale Notre-Dame de l'Assomption se démarquent des habitations délabrées. 

Palais Présidentiel Port-au-Prince - Haïti -

Port-au-Prince est pourtant une capitale fondée sur un site exceptionnel, entre mer et colline, mais malgré ces conditions géographiques favorables, la ville souffre d'un environnement dégradé.  Il faut une bonne heure à notre véhicule pour s'extirper des embouteillages infernaux de Port-au-Prince, dans le flot chaotique des tap-tap, ces taxis collectifs bardés de couleurs vives et dédiés à «Jésus Sauveur», «Fils de Dieu» et autres «Seigneur qui protège».  Il n'y a pas de règle de circulation,  des animaux se promènent dans les rues remplies de marchands et de piétons. Des buissons de jasmin et des flamboyants pourpres qui grimpent le long des murs dégagent une odeur lourde et sucrée. 

Tout au long du voyage entre l'aéroport et l'hôtel les opinions sont aussi contradictoires que le pays lui-même. D'un côté de la route nationale se trouve l'océan ; de l'autre, des montagnes peu boisées, et beaucoup de bidonvilles ; des cases construites en dur : briques pour les murs et tôles en guise de toitures. 

À notre arrivée au  Magic Haïti, on reçoit l'habituel bracelet du club Med (destiné aux gens qui ont payé leur séjour et un verre de jus de fruits fraîchement préparé,  on le déguste dans un  lieu de sérénité et de toute beauté. Magic Haïti, à l'époque c'était 350 chambres, 3 restaurants, sports nautiques, animations, excursions, bars, spectacles et discothèque.  Le paradis sur terre pour les touristes, mais sans doute également pour la centaine d'Haïtiens qui avaient l'avantage d'y travailler, ce club était bien évidemment une aubaine pour eux.  Hélas Magic Haïti a fermé en 1999 en raison de la dégradation de l'environnement socio-politique, après 18 ans de service où il régnait en maître dans le secteur touristique. 

Haïti chérie, disent les Haïtiens !
Haïti chérie, disent les Haïtiens !
Haïti chérie, disent les Haïtiens !
Haïti chérie, disent les Haïtiens !
Haïti chérie, disent les Haïtiens !

Loin des sentiers battus,  tout semble se confondre en une seule et même couleur de désolation. Mais ces tap-tap, taxis collectifs à Haïti, ont piqué mon imaginaire. Ces oeuvres d'art ambulantes qui livrent des messages bibliques pour transporter les voyageurs, me sont apparues comme un signe de l'étonnante vitalité des Haïtiens. Ils sont serrés les uns contre les autres, épaule contre épaule, sueur contre sueur. Certains des passagers s'accrochent autour des véhicules sans même pouvoir s'asseoir. (Tap-tap en créole veut dire rapide) 

En s'enfonçant dans les villages ou la vie palpite,  on croise des chèvres maigrichonnes broutant la poussière, de gros porcs noirs en train de se gaver parmi les déchets en plein air, des gamins jouant avec une bouteille en plastique transformée en petit camion, un homme sans jambe assis par terre, une jeune femme très enceinte transportant sur sa tête un immense ustensile rempli de bananes et de papayes, une multitude d'enfants, certains pieds nus, se promènent dans des caniveaux mal odorants autour d'abris de fortune où squattent des familles nombreuses.  Une vie de misère en bord de mer,  bercée par un environnement riche en arbres tropicaux de toutes sortes, amandiers, cocotiers, oliviers, papayers, pour n'en citer que quelques-uns. 

La population locale vit de façon isolée, coupée du monde extérieur, privée de modes de transport, d'activités agricoles suffisamment génératrices de revenus, d'accès à l'électricité à des prix raisonnables, de petites infrastructures économiques locales, d'accès à l'eau portable, etc. 

Musiciens, poètes, peintres, sculpteurs, écrivains, sont également nombreux, car ce pays a développé une culture pleine de charme et de naïveté, conforme à sa sensibilité, sa spontanéité et sa fraîcheur. Et je peux vous assurer que les Haïtiens aiment la France. D'ailleurs, lorsque les gens savaient que nous étions français, ils venaient aussitôt nous parler dans notre langue. (le Français leur est enseigné).  Les Haïtiens sont très amicaux,  on est très vite conquis par la population souriante, où le brassage des sangs témoigne d'un passé nourri par des aventures multiples qui ont imprimé à ce petit territoire un destin particulier et tragique, marqué au fer rouge par les vicissitudes de l'esclavage et les conquêtes subies, mais également par de fabuleuses épopées humaines. 

Les Haïtiens nous posaient des questions. Était-il exact qu'on présentait trois cents films différents en une seule journée à Paris ? Qu'on aimerait la musique Africaine ? Ici personne ne termine jamais les travaux finissent-ils par nous dire, l'argent va dans les poches du président à vie et on ne paie même pas les entrepreneurs. Un jour, les bourgeois vont se révolter parce qu'on les vole. Ils comprendront alors peut-être que les gens ont faim !. (les 3% de possédants qui gèrent 80% de l'économie du pays. Ici, on les appelle les bourgeois) 

Impossible de parler d'Haïti sans évoquer le «Vaudou», qui désigne l'ensemble des dieux et des forces invisibles dont les hommes essaient de se concilier la puissance ou la bienveillance. A plusieurs reprises, le vaudou a joué un rôle important dans l'histoire d'Haïti, notamment dans l'organisation des révoltes contre les colons français. 

Qu'est-ce qu'une soirée vaudou ?   Elle se tenait dans un village près de Port-au-Prince, de nuit, à l'intérieur d'une habitation haïtienne. Croyez-moi,  il n'est pas aisé pour un étranger d'assister à ces rituels  - la pièce ou avait lieu la séance était dépourvue de décorations particulières. Les fidèles priaient, chantaient dansaient au rythme d'un tambour, buvaient de la bière et ensuite du rhum, crachaient du feu,  puis entraient en transe avec des yeux exorbités, au moment ou les esprits les possédaient.  Une femme dont la transe était si intense, a fini par décapiter, avec ses dents,  un poulet vivant ! Si ces scènes de possession et de transe spectaculaires affectent par leur caractère intempestif, bruyant et violent,  avec le recul,  on conçoit que le Vaudou exprime le désespoir de l'Haïtien qui y trouve un exutoire pour son agressivité refoulée et sa dépression fort compréhensible. 

MILOT
MILOT
MILOT
MILOT
MILOT

MILOT

Direction Milot, dans le nord du pays, pour admirer les vestiges du Parc National Historique d'Haïti reconnu au Patrimoine Mondial de l'Unesco depuis 1982. Il s'agit d'un regroupement de trois sites impressionnants : 

- La Citadelle La Ferriere, une immense forteresse érigée au début du XIXe siècle qui s'élève à 900 mètres d'altitude, ce qui fait d'elle la plus grande forteresse de la Caraïbe. Au sommet, la vue panoramique sur le nord d'Haïti et la mer des Caraïbes est à couper le souffle ! 

- Les ruines du Palais Sans souci, l'ancienne résidence du roi Henri Christophe ravagée par les tremblements de terre en 1842 et 1843.

- Le site fortifié des Ramiers, un plateau contenant les ruines d'un fort. 

Située à 86 km de Port-au-Prince, la ville de Jacmel est internationalement reconnue pour son patrimoine historique, ses attractions touristiques, son carnaval rayonnant, exhibant des masques géants en papier mâché. 

Cette ancienne petite cité coloniale connut quelques décennies de véritable prospérité, lorsque son port devint la plaque tournante de l'exportation, principalement vers la France, du café produit sur les pentes de l'arrière pays. Les riches négociants transformèrent le centre ville en y construisant leurs entrepôts commerciaux mais également leurs résidences, pour lesquelles ils importèrent de nombreux éléments architecturaux d'Europe ou des États-Unis. C'est ainsi que le coeur de la ville se trouva doté d'un patrimoine bâti exceptionnel, qui justifia que l'État haïtien fasse figurer ce centre historique sur la liste destinée à l'inscription au patrimoine mondial de l'Unesco. Pourtant elle demeurait isolée du reste du pays car elle est difficilement accessible par la route, et les divers projets de mise en valeur touristique restent à l'état de rêve.  (aujourd'hui tout est à rebâtir à Jacmel, et l'économie locale a été ravagée !  )  

Le décor impressionnant de la région permet de penser que tout existe en Haïti: étangs, lacs, rivières, chutes, montagnes et forêts rivalisent avec la mer. 

Pour profiter pleinement des magnifiques paysages de cette région, nous nous rendons à Furcy qui est l'endroit idéal pour se balader et profiter de l'air frais. La vue des formations montagneuses est impressionnante. Rares sont les visiteurs qui s'aventurent jusqu'ici. Le sentier  que nous empruntons est avant tout celui qu'utilisent les Haïtiens qui cultivent poireaux, oignons, carottes, salades, pommes de terre, etc.. Ils transporteront ensuite, par camions,  leurs produits jusqu'aux villages avoisinants et même à Port-au-Prince.  Aucun doute sur les dures conditions de vie de la population rurale, même si les visages souriants et la dignité des gens rencontrés semblent  contredire cette réalité. Les enfants, eux, devront forcément partir. En espérant, après l'extrême pauvreté de ces campagnes, échapper à l'immense misère des villes.

Nous nous dirigeons vers le Bassin Bleu, un superbe site naturel situé dans les montagnes.  Il est composé de trois bassins à l'eau turquoise, dans lesquels se déversent des chutes d'eau spectaculaires. Entourés de végétation luxuriante, de grottes et d'arbres fruitiers, ces bassins d'eau fraîche et limpide sont des endroits parfaits où s'offrir une baignade, dans un décor enchanteur ! 

Nous visitons le parc National La Visite, l'un des deux parcs nationaux d'Haïti qui culmine à 2680 mètres de haut au sommet du Pic La Selle.  Il s'agit de la plus grande réserve de pins en Haïti, c'est le paradis pour ceux qui veulent faire de l'écotourisme. Dans les sous sol se trouvent de nombreuses grottes et cours d'eau souterrains. 

La seule commune du département de l'ouest de la capitale dans notre liste est Pétion-ville. Elle est perchée sur une petite colline et domine Port-au-Prince. On y retrouve les restaurants les plus chics, et tous les grands hôtels, galeries d'art, boites de nuit etc. Un vrai contraste !  Ici c'est le coin montagnard  de Port-au-Prince, des privilégiés, des villas luxueuses entourées de murs de protection, des protégés par des gardes de sécurité, des profiteurs du système 

Parc St-Pierre, Pétion-Ville - Haïti.

Ce qui nous a frappés, à Haïti,  outre ses magnifiques paysages, c'est la fierté de ses habitants et ils ont beaucoup à nous apprendre ! Malgré la misère, quand ils sourient tout leur visage s'éclaire !  Nous avons aussi été très touchés par leur gentillesse et les Haïtiens en guise d'au revoir, nous ont affirmé avoir été enchantés de voir des étrangers venir dans leur pays, et qu'ils espéraient en voir beaucoup plus à l'avenir. 

hélas,  la réalité fut toute autre. Depuis pas mal d'années, ce pays sous le soleil de plomb des caraïbes,  est éventré, déchiré, blessé, anéanti. Mais ses malheurs historiques et actuels s'expliquent.

En mai 2009, moins d'un an avant le tremblement de terre, le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-Moon, a demandé à Bill Clinton de devenir envoyé spécial des Nations-Unies. Haïti venait d'être frappé par deux tempêtes tropicales et deux ouragans en moins de 30 jours et peinait à lever 1 milliard de dollars de la communauté internationale. Ban Ki-Moon estimait que Clinton, avec son profil et ses antécédents en Haïti, pourrait inspirer la confiance des donateurs et attirer des investissements privés. Clinton a accepté la demande de l'ONU. Il pensait, a-t-il dit, que la commission était le meilleur mécanisme pour éviter la duplication des projets par les donateurs et les convaincre que leur argent ne serait pas gaspillé.

Le 12 janvier 2010, un séisme bouleversait l'île, la mobilisation des ONG est totale, assure-t-on de toutes parts. Pourtant l'aide humanitaire ne parvient pas aux victimes et dans beaucoup d'endroits sont accrochés des banderoles hâtivement bricolées «We need food, help, water...» (Nous avons besoin d'aide, de nourriture, d'eau....) 

Plus de 200 000 Haïtiens sont morts, 300 000 furent blessés, et des milliers ont faim ou soif, des milliers tendent les mains, des milliers attendent. 

Experte d'Haïti, Isabeau Doucet souligne 

Dans les années 1950, l'agriculture représentait 90 % des exportations haïtiennes. Aujourd'hui, 90 % des exportations proviennent du domaine du vêtement, alors que plus de la moitié de la nourriture du pays est importée. Haïti et les États-Unis ont conclu des accords préférentiels de libre-échange - appelés HOPE (Haïtian Hemisphéric Opportunity through paetership Encouragement art, 2006) et HELP (Haïti Economic Lift Program, 2008) - dans le cadre d'un effort visant à développer l'industrie du vêtement en Haïti. Pour ce faire, on a donné aux vêtements «Made in Haïti» une étiquette se voulant humanitaire, socialement responsable et bonne pour le «développement» du pays, tout en donnant un accès hors taxe aux marchés étasuniens. 

Selon une étude de 2011 de l'American Federation of Labor and Congress of Industrial Organizations (AFL-CIO, principal regroupement syndical aux États-Unis), le coût de la vie à Port-au-Prince est estimé à 29 dollars par jour. Deux cents gourdes pour un quart de travail de huit heures équivaut à un sixième du salaire de subsistance estimé. Le coût de l'aller-retour au travail et d'un repas modeste peut facilement s'élever à 120 gourdes (1.15 €) pour un travailleur. En réalité, les Haïtiens gagnent moins aujourd'hui qu'ils ne gagnaient sous la dictature de Duvalier. Les salaires ont a peine augmenté et valent maintenant la moitié de leur pouvoir d'achat de 1984. (Isabeau Doucet, Made in Haïti, Dumped in Haïti : Slave Labor and the Garment Industry, The Dominion, 10 juillet 2013). 

Aucun projet n'a reçu autant d'attention de la part des Clinton que le parc industriel et l'usine de vêtements, construite à six heures de route au nord de la capital Haïtienne, dans une ville appelée Caracol. Cet emplacement est situé bien au-delà de l'épicentre destructeur du tremblement de terre, dans une partie rurale du pays en grande partie épargnée pas la catastrophe. Le projet fortement soutenu par le gouvernement américain, devait créer 100 000 nouveaux emplois. Et les donateurs de la Fondation Clinton on fait surface dans de nombreuses facettes du projet. 

C'est SAE-A, la société coréenne de vêtements qui est recrutée pour devenir la locataire principale du parc industriel et cette dernière a donné entre 50 000 à 100 000 $ à la Fondation Clinton

Bill et Hillary Clinton ont assisté à la cérémonie de coupe du ruban peu après l'ouverture de l'usine en 2012. 

«Et maintenant plus d'un millier d'Haïtiens vont pouvoir travailler», a déclaré Hillary Clinton lors de la cérémonie. «C'est quelque chose de remarquable».

Les estimations du nombre de personnes qui y travaillent oscillent entre 5 000 et 6 000. 

Maintenant, des affirmations contre l'entreprise émergent en Haïti, selon les travailleurs et les militants syndicaux interrogés par ABC News, un groupe appelé Better Work Haïti a publié un rapport constatant que l'usine n'était qu'un lieu de harcèlement sexuel, d'intimidation et d'humiliation des employés. Une organisatrice syndicale, a déclaré à ABC News qu'elle avait reçu des rapports des travailleurs de SAE-A selon lesquels ils devaient accorder des faveurs sexuelles aux superviseurs afin d'obtenir des emplois dans l'usine.  

«Je suis sûr que nous avons commis quelques erreurs, mais cela a été beaucoup plus efficace que le mal», a déclaré Bill Clinton lors de la dernière réunion de la Clinton Global Initiative, dont SAE-A est membre. «Ce sont les efforts les plus organisés et les plus clairement dirigés pour amener des capitaux privés en Haïti, pour faire du bon travail, que ce soit par le biais d'organismes sans but lucratif ou par le biais d'entreprises à but lucratif incluant des Haïtiens, que j'ai jamais vus». 

Tous ont été acteurs ou les participants passifs d'une gigantesque opération d'aide dite «humanitaire» à Haïti. Elle s'est traduite par une gabegie financière effarante, accompagnée d'une corruption industrielle et de détournements massifs. 

En effet, l'incurie et la corruption de la classe politique haïtienne, la violence des élites exercée sur une population misérable, la prédation et la richesse nationale par une douzaine de familles qui tiennent 80% de l'économie du pays ne suffisent pas à expliquer complètement tout le désastre en cours. Le bilan est aussi celui de la communauté internationale, celui des grands acteurs de l'«aide» qui, en dix ans, a accéléré la destruction d'Haïti

Ban Ki-moon,  secrétaire général de l'ONU, se proclama à nouveau «grand ami d'Haïti», et Bill Clinton, autre «grand ami d'Haïti» à la vice-présidence de la Commission intérimaire pour la reconstruction. Il s'agissait alors de rassurer les pays donateurs et le Congrès américain - sur la bonne utilisation des milliards de dollars à venir.....

La suite n'est qu'une longue litanie de scandales, d'avertissements, de rapports tirant l'alarme, d'échecs, de détournements, de colères et de désespoirs. Des dizaines de millions de dollars partirent en fumée dans les firmes de consulting, dans des projets absurdes de relogements provisoires, dans des villages «modèles»  aujourd'hui sans eau potable et sans électricité. -   du «botox urbain», un  «lifting de bidonville» avaient hurlé les médias -  

Marriott Marquis Port-au-Prince - Haïti -

Marriott Marquis Port-au-Prince - Haïti -

Quant à Bill Clinton, son inauguration la plus spectaculaire fut celle d'un hôtel Marriott Marquis à Port-au-Prince, bulle de luxe irréelle gardée par des hommes armés jusqu'aux dents... «C'est un peu ridicule qu'une si grande partie des reconstructions à Haïti ait été consacrée aux hôtels de luxe» estimera Jonathan Katz, auteur et journaliste qui a enquêté sur le secteur de l'aide humanitaire après le séisme. Katz qualifie le secteur de l'aide humanitaire, quasiment sans aucune réglementation et atteint d'une corruption endémique, de «désastre quasi-total». La plus grande partie de l'argent se volatilise avant même d'avoir atteint le pays. «Le fait que tous ces hôtels soient érigés à Port-au-Prince montre qu'ils ne sont pas construits pour les touristes mais pour les travailleurs humanitaires et pour d'autres investisseurs» poursuit Katz. «Donc dans un sens, quelqu'un comme Bill Clinton construit un peu cet hôtel pour sa pomme». 

« L'ouverture de l'hôtel Marriott de Port-au-Prince est une étape importante alors que le peuple d'Haïti travaille a revitaliser et diversifier leur économie [.....] Je suis reconnaissant au Marriott et Digicel pour leur engagement à ce projet, et nous espérons que son succès va inspirer d'autres investissements et d'opportunités en Haïti» a déclaré Bill Clinton lors de l'inauguration de l'hôtel en 2015. L'acteur Sean Penn a également participé à la cérémonie d'ouverture. 

Les projets post-séisme ont été nourris avec 10 milliards de dollars d'aide internationale et un soutien important du gouvernement américain et de la Fondation Clinton et ils ont, au mieux, eu des résultats mitigés, ont déclaré des experts de ABC News. Plusieurs de ces initiatives ont  autant profité aux amis de Clinton et aux donateurs de la fondation qu'aux Haïtiens, a énoncé un certain Johnston.

«Je n'ai reçu aucun argent», raconte une habitante, qui vit avec sa famille dans une maison de fortune en bâche, en bois et en plastique. «Je ne pense pas que j'aurai un jour une maison permanente».  (ABC News) 

Les Nantis de Pétion-Ville : 

Si Haïti est une république des ONG, Pétion-ville en est la capitale : un refuge sécurisé pour diplomates, hommes d'affaires, politiciens, et parsemé de studios de yoga, de restaurants français, de bars à jus bio, de discothèques,  et du seul parcours de golf d'Haïti, pratiquant des prix comparables à ceux de New-York. Des stars hollywoodiennes y viennent en villégiature et les seules stars qui ne sont pas venues, ce sont celles qui voyagent, nous dit-on, pour leurs bonnes oeuvres. 

Depuis quelques années, les richesses du sous-sol haïtien font saliver des compagnies étrangères. Il n'existe pas d'estimation exacte et officielle de ce que rapporteraient les ressources minières, mais des chiffres présagent que l'or, le cuivre et l'argent du sous-sol haïtien pourraient rapporter des milliards de dollars. 

Haïti dans son enfer semble témoigner que tout ce qui se targue d'«organisation» n'a souvent d'autre fonction que la prédation. En 2013 déjà, le cinéaste haïtien Raoul Peck a fait un documentaire au titre éloquent sur le détournement des fonds humanitaires après le séisme :  «Assistance Mortelle». 

Selon le New York Times, la plupart des récits recueillis par les chercheurs font état d'échanges «de petites sommes d'argent ou de nourriture contre des rapports sexuels» entre des soldats ou des civils de le Minustah et «des femmes et des filles qui étaient souvent désespérément pauvres» L'étude cite aussi «des relations consensuelles qui ont pris fin lorsque les soldats de la paix ont quitté Haïti» 

La directrice de l'étude, Sabine Lee, considère d'ailleurs que le problème soulevé est d'abord «un problème militaire Brésilien ou Uruguayen» Mais, ajoute-t-elle «L'ONU n'a pas trouvé le moyen de demander des comptes aux troupes des États membres»

En fait, c'est sans doute le plus grand scandale international de la décennie. Il met en cause l'ONU, les États-Unis, l'Europe, des dizaines d'États donateurs, des milliers d'ONG, des armées de consultants, de grands groupes privés, des partis politiques et leurs responsables. 

Un Haïtien insiste : Pour lui, le seul obstacle d'Haïti, c'est le gouvernement. «Vous savez, il faut commencer par le sommet» explique-t-il. «Si en tant que gouvernement vous voulez vraiment développer le tourisme, il faut respecter les règles du jeu, il faut créer une stabilité. C'est comme ça que ça marche. Si vous avez la paix, les gens viendront - parce qu'ils ne sont encore jamais venus ici». 

Janvier 2020 - Une femme marche devant les ruines de la Cathédrale Notre-Dame de l'Assomption à Port-au-Prince.....

Haïti a commémoré, le 12 janvier les dix ans du séisme du 12 janvier 2010. Cette commémoration fut doublement sinistre : aux souvenirs poignants des morts d'hier s'est mêlée l'insupportable situation des vivants d'aujourd'hui. 

Le cérémonie principale s'est tenue au Mémorial (toujours inachevé et déjà délabré) du Morne Saint-Christophe, là où des milliers de victimes furent ensevelies dans des fosses communes.

Puis fut présenté le concept du futur Palais National, siège de la présidence, détruit par le séisme en 2010 :   ▼

Aujourd'hui c'est un terrain vague depuis que les ruines des bâtiments ont été évacuées par L'ONG «Haitian Relief Organization de la star Hollywoodienne Sean Penn».  

La journée fut ainsi comme un condensé de la décennie écoulée.

Haïti est un pays dévasté, englouti dans de violentes crises sociales et politiques. La misère y est encore plus grande qu'avant 2010. L'État a disparu, s'est évanoui, laissant les 12 millions d'Haïtiens à la merci d'un clan qui tient la présidence de la République et de gangs criminels qui contrôlent de larges parties du territoire.  

Le Président Haïtien Jovenel Moïse

Depuis le lundi 13 janvier, la République Haïtienne n'a plus de parlement (le mandat de ses élus a expiré et il n'y a pas eu d'élections) Le gouvernement est démissionnaire depuis le printemps 2019. Le budget n'a pas été voté depuis trois ans. L'économie est en récession. L'inflation explose. Les services de base (éducation, santé, administrations) ne sont plus assurées ou si peu. Le président Jovenel Moïse (élu en 2016 avec un taux de participation de moins de 21%)  demeure rejeté par tous les partis sauf le sien, par toutes les Églises, par de larges secteurs du monde économique et la totalité des organisations de la société. Il gouverne depuis ce lundi 13 par décrets, protégé par quelques centaines de militaires et des mercenaires recrutés auprès de la firme américaine Blackwater. 

Où sont les enquêtes officielles ? Le congrès États-Unien, la Banque mondiale, la Banque inter-américaine de développement ont enquêté sur les fiascos répétés. Mais tous se gardent de mettre en cause nommément les États, les ONG, les groupes industriels concernés et leurs responsables. Oui, il y a des corrupteurs et des corrompus. Ils restent anonymes, protégés par les raisons d'État, à l'abri de procès judiciaires qui pourraient établir d'autres responsabilités que celles des seuls hommes politiques haïtiens. 

Mais les Haïtiens ne baissent pas les bras, ceux qui habitent toujours là-bas, ceux qui ont quitté leur pays pour pouvoir mieux l'aider par la suite, ceux qui font grandir des projets, un à la fois, gardent toujours l'espoir qu'un jour leur pays d'origine et ses habitants pourront vivre fièrement, en pouvant subvenir eux-mêmes à leurs besoins fondamentaux, en retrouvant leurs droits. Pour eux, Haïti a tout ce qu'il faut pour réussir.

Pour terminer, j'ai envie de reprendre cette phrase de Paul Watzlawick : «Plus le problème est complexe et paraît désespéré, plus la solution est désespérément simple». 

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