26 Mars 2020
BORIS VIAN a trop souvent été oublié de son vivant, mais son oeuvre est en train de le venger ! On découvre sa vie à travers l'expo «Boris Vian 100 ans», qui devrait se déplacer dans les médiathèques françaises jusqu'en novembre. La poste lui consacre même un timbre anniversaire.
Boris Vian est né près de Paris dans une famille bourgeoise. Dès l'âge de 12 ans, il souffre de problèmes cardiaques, ce qui ne l'empêche pas de faire de brillantes études d'ingénieur. À 17 ans, il commence la trompette (qu'il nomme «Trompinette ). Il s'exerce au cours de grandes surprises-parties que donnent ses parents. Très tôt, il se passionne pour le jazz. Il gagne des concours avec son orchestre et joue, pendant plusieurs années, dans des clubs de Saint-Germain-des-Prés. Boris Vian est un pilier de la légende de ce quartier parisien et de sa génération existentialiste. (existentialisme : terme et courant philosophique qui place l'homme et l'existence au centre de sa réflexion. Sartre dit que l'homme n'est pas programmé à l'avance, mais qu'il est libre et responsable de son existence). À partir de 1946, Vian rédige une chronique dans la revue Jazz Hot, qu'il évoquera dans son livre «En avant la zizique». En 1958, il est aussi compositeur et parolier. Il écrit «Le Déserteur» en 1954, «Complainte du progrès» en 1955. Ses chansons sont interprétées par Mouloudji, Henri Salvador....
A la fin de ses études, Boris Vian exerce durant plusieurs années le métier d'ingénieur. En 1953, il dépose un brevet, qu'il obtiendra en 1955, pour une invention : la «roue élastique». Cette inventivité se retrouve dans ses écrits. Ainsi, dans l'Écume des jours, il imagine le «pianocktail», un piano qui compose des cocktails de notes. Boris fabrique des mots qui désignent de réels instruments. Une feuille de papier à cigarette appliquée sur un peigne et vibrant lorsqu'on souffle dessus devient le «peignophone» avec lequel il amuse ses amis d'études au lycée.
Toute sa vie, il joue un rôle de pionnier, diffusant les nouvelles modes : la science-fiction, la littérature policière américaine, le jazz ou encore le rock and roll.
Les livres qu'il signe sous le pseudonyme de «Vernon Sullivan», connaissent un joli succès : J'irai cracher sur vos tombes [1946], Et on tuera tous les affreux [1948], Elles se rendent pas compte [1950]. À l'inverse, ses autres publications connaissent d'abord une notoriété réduite : L'écume des jours [1946], L'Automne à Pékin [1947]. Il met en scène des personnages poétiques qui évoluent dans un monde à la logique absurde. Son écriture, simple, est ponctuée de jeux de mots et de contrepèteries [Jean-Sol Partre pour Jean-Paul Sartre dans L'Écume des jours].
À 20 ans, il jouait avec sa famille et ses amis, aux «bouts rimés» : il s'agit d'écrire des poèmes avec une série de rimes imposées. Boris, savait en quelques minutes formuler des poèmes en alexandrins avec des rimes imposées. Il aimait bousculer les mots, jouer avec, aller plus loin que leur apparence. Pour lui les mots étaient des tiroirs. Dans ses livres, Boris Vian rejette les institutions comme l'armée, l'Église....qu'il dénonce par son humour noir.
Son tempérament romantique se traduit dans les psychologies de ses personnages, mal à l'aise dans la société. Vian est aussi l'auteur de pièces de théâtre [L'Équarissage pour tous, 1948], de nouvelles [Les Fourmis, 1949] et de traductions de textes américains.
Boris Vian était doué et très studieux. Mais surtout, tout était plaisir chez lui. Il était toujours en éveil, complètement tourné vers les arts. Tout l'éclatait ! Dès qu'il avait envie de faire quelque chose, il le faisait immédiatement. Cette curiosité et cette spontanéité venaient principalement de ses parents. On peut dire qu'il a eu une enfance dorée, tant matériellement qu'affectivement. Son père avait plusieurs talents : les langues, l'ébénisterie, l'horlogerie, les voitures....Et sa mère était très présente. Ils avaient une attitude avant-gardiste. Ils organisaient dans leur maison des surprises-parties qui pouvaient compter 200 invités. Chez les Vian, on avait des idées et on se donnait le moyen de les réaliser.
Boris Vian ne faisait pas de politique. Dans le contexte d'alors (après la libération), il estimait qu'aucun homme politique n'était vraiment net. Il gardait une grande distance par rapport à ce milieu. Il a fait passer des idées dans des chansons. Mais il fut aussi le premier à parler de la cause noire, dans J'irai cracher sur vos tombes. N'oublions pas que les Américains avaient libéré la France et que les problèmes raciaux aux USA étaient tabous à l'époque. Plusieurs de ses contemporains le considèrent comme un «anarchiste», en revanche d'autres insistent plutôt sur la subtilité de sa position et son refus de s'engager : «Boris était plus fin, plus en avance, moins dupe, il était apolitique».
Parfois pris au piège de ses postures iconoclastes, satiriques ou contestataires qu'il assume, il souffre de voir «L'Arrache-coeur», livre sincère, peu pris au sérieux. «C'est drôle quand j'écris des blagues ça a l'air sincère, et quand j'écris pour de vrai, on croit que je blague».
Quels rapports entretenait-il avec son double Vernon Sullivan ?
Au départ, il s'agissait d'un coup monté entre Boris Vian et son éditeur. Vernon était le nom d'un de ses copains et Sullivan était un jazzman. Mais c'était surtout une rigolade. D'ailleurs, ça a été fugitif. Au bout d'un an, tout le monde savait que Boris Vian se cachait derrière ce pseudonyme.
Sa chanson le Déserteur dérange !
Boris Vian a écrit les paroles de la chanson le 29 avril 1954. C'est la fin de la guerre d’Indochine. Le texte fait scandale, d'autant que, quelques mois plus tard, la guerre d'Algérie éclate.
Le Déserteur, chanté par Mouloudji, sort à une époque où la France est engagée militairement dans des conflits. La chanson est interdite sur les ondes et retirée du commerce. Pourtant l'éditeur de Vian en a fait changer la fin. «Prévenez vos gendarmes que j'emporte des armes et que je sais tirer» est remplacé par «...que je serai sans arme et qu'ils pourront tirer.» Boris Vian défend son texte et veut écarter toute incompréhension. En 1955, il écrit à un conseiller municipal qui l'avait violemment critiqué : «Jamais je n'insulterai des hommes comme moi, des civils, que l'on a revêtus d'un uniforme pour pouvoir les tuer comme de simples objets».
Le Déserteur a fait reparler de lui en 1999. Une institutrice de Montluçon [Allier] avait fait chanter cette chanson à deux élèves lors de la commémoration de la capitulation allemande. Elle a failli être suspendue de sa fonction pour cela. L'incident, qui a suscité la colère des associations d'anciens combattants, montre à quel point ce texte dérange encore.
Il y a également eu un procès contre le livre «J'irai cracher sur vos tombes». Publié en 1946 sous le pseudo de Vernon Sullivan, le livre est présenté par Vian comme une traduction. Le livre raconte, de façon violente et érotique, la dérive d'un Américain métis. Comme son jeune frère a été lynché par la foule, il veut le venger.
En réaction au livre, une association menée par Daniel Parker, un architecte puritain, porte plainte en février 1947. Paradoxalement, cette plainte fait la publicité de l'ouvrage et a un effet positif sur les ventes. Les journaux accusent Boris Vian, soupçonné d'être le véritable auteur, de pervertir la jeunesse. La 24 novembre 1948, l'écrivain reconnaît être l'auteur du livre devant le juge d'instruction. Le 13 mai 1950, Boris Vian est condamné pour outrage aux bonnes moeurs. Il fait appel. L'affaire se termine le 27 octobre 1953. La cour d'appel de Paris condamne Boris Vian à 15 jours de prison. Comme elle prononce aussitôt l'amnistie, le casier judiciaire du romancier reste vierge.
Boris Vian est mort le 23 juin 1959, d'une crise cardiaque dans une salle de cinéma parisienne lors de la première projection de l'adaptation de son roman au cinéma. Il n'était pas d'accord avec cette vision de son livre.
L'écrivain de la jeunesse et du jazz, est mort jeune à l'âge de 39 ans. Sa courte existence lui a malgré tout laissé le temps d'exprimer ses nombreux talents. La musique a occupé les six dernières années de la vie de ce trompettiste, poète, nouvelliste, romancier, auteur de polars, de pièces de théâtre et aussi scénariste qui a écrit dix romans, une soixantaine de nouvelles, trois recueils de poésies, l'équivalent de trois tomes de chroniques et de critiques de jazz, dix pièces de théâtre, une demi-douzaine de livrets d'opéra, plus de cinq cents chansons, trente scénarios de films, sans compter les articles, lettres ouvertes, pamphlets et manifestes, sans oublier les traductions....le tout en un temps record, quelques décennies d'une vie passée comme un météore. Adoubé par Jean Rostand et Menuhin, ses voisins, par Raymond Queneau et Jean-Paul Sartre, le centralien était «un touche à tout», au bon sens du terme, un «électron libre», rebelle et conformiste à la fois. «Libertaire, il ne contestait pas l'ordre établi». «Écrivain, il ne joua pas aux intellectuels et accéda au rang des classiques sans cesser d'être d'avant-garde». Cette publication prestigieuse permet de retrouver, au-delà du personnage, du génie qui «ne se prenait pas au sérieux», le plus inventif des romanciers français du XXe siècle.
Cette chanson de Vian «Les déménageurs du piano» figure parmi les 9 titres du premier album de Serge Gainsbourg «Du chant à la une» sorti en 1958 ▼
«On est pas là pour se faire engueuler» fait partie du deuxième 45 tour enregistré par Boris Vian, disque qui porte le titre «Chansons impossibles» et qui comprend également : La complainte du progrès ; Cinématographie ; et J'suis snob qui a été également reprise par Serge Gainsbourg.
Très soutenue par le journal Le Canard Enchaîné, en même temps que les autres chansons de Vian, «On est pas là pour se faire engueuler» n'est chantée en 1955 que par Philippe Clay et Patachou. Remise à la mode par Les Charlots en 1969, elle connaît un très vif succès à partir de 1979, lorsque Coluche l'interprète dans le spectacle du café-théâtre du Grand Orchestre du Splendid. ▼
Elle a été reprise de nombreuses fois par de nombreux chanteurs et elle donne son titre à un album collectif sorti en 2009 : «On est pas là pour se faire engueuler», qui rassemble des reprises ou des interprétations de textes de Vian, interprétés par Matthieu Chedid, Thomas Fersen, Zebda ...etc.
Boris Vian, a du beaucoup se faire engueuler dans sa courte vie et surtout en entendre de toutes les couleurs au moment du refus de ses oeuvres. Qui en 1947 a apprécié la poésie, le romantisme, la beauté de «L'écume des jours» ? qui fera finalement de Boris Vian un véritable mythe auprès de la jeunesse après sa mort. Il en est de même pour «l'Arrache-coeur».
Certains de ses ouvrages sont à présent des classiques de la littérature française, étudiés dans les écoles et analysés dans les facultés. Des années après, nous sommes toujours face à une oeuvre qui continue de résonner, et qui dit beaucoup de la nature humaine, au-delà des clichés du bon chic bon genre.
Les images poétiques côtoient les moments de douleur, les néologismes abondent et les jeux de mots amplifient l'absurde, le cocasse d'un monde étrange dans lequel les tendres, les naïfs, les gentils croisent des profiteurs, des menteurs capables, quelquefois, de devenir meilleurs.
C'est un peu loufoque mais tellement plein d'émotions. Incompris par ses éditeurs et ses lecteurs contemporains, il est désormais une référence poétique et humoristique. Ses talents littéraires et musicaux sont à présent largement salués.
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