12 Mai 2021
Elie Yaffa, alias Booba, né le 9 décembre 1976 à Boulogne-Billancourt, est un des hommes les plus intelligents du milieu de la musique. À coup de clashs et de punchlines comme «je traîne en bas de chez toi/ je fais chuter le prix de l'immobilier» ou «Si ça fait mal, que tu cries, que tu jouis, c'est que j'suis dans ta chatte»), le rappeur est tellement influent qu'il est devenu un média à lui tout seul. Il a des millions de followers sur Facebook, Twitter et Instagram. Chacun de ses posts a un impact bien plus important que n'importe quel article de journal. Ce Franco/Sénégalais vit aujourd'hui à Miami avec sa femme (une maquilleuse vénézuélienne) et leurs trois enfants. Il a vendu des millions d'albums, rempli deux fois Bercy, créé Ünkut, une marque de vêtements, Talla Records, un label prescripteur, et OKLM, qui est tout à la fois un site web, une chaîne de TV et une web radio.
Sa vie en Floride se veut plutôt tranquille : «A Miami, je ne vois pas grand monde à part eux (ses enfants). Je vais bien au restaurant de temps en temps, avec Gato (un artiste haïtien avec lequel il collabore régulièrement, basé comme lui en Floride), mais sinon je ne sors pas trop». Pour ses repas, Booba a embauché une personne pour s'en charger. «j'ai un chef français chez moi, il me fait des tajines, des choses comme ça. Je ne calcule pas les calories, mais je mange sainement parce que j'ai toujours fait du sport dans ma vie, j'ai toujours fait attention. Je n'aime pas trop les sucreries ni les desserts, et j'essaie de diminuer la viande. Comme j'ai la chance d'avoir un compte en banque très bien rempli, j'achète du boeuf grassfed, qui broute dans un champ pas loin, là, hahaha ! Je vais m'approvisionner dans les magasins bio, chez Whole Foods ou Trader Joe's. Je réduis de plus en plus la weed, je ne fume plus le matin ! et pour l'alcool, c'est très rare, j'en consomme juste sur scène ou en soirée» Confie-t-il au magazine GQ en mars 2020.
Pour Booba, tout commence en 1996 à la prison de Bois-D'Arcy, où il purge une peine de dix-huit mois pour avoir braqué un taxi. C'est là qu'il écrit la majorité des textes de son premier album Mauvais Oeil. À sa sortie, il l'enregistre avec le rappeur Ali, avec qui il forme le duo Lunatic. Mais impossible de décrocher un deal chez une major. En 2000, Booba et Ali sortent cet opus sous leur propre label. Les morceaux, trop violents, ne passent pas sur Skyrock, la seule radio française dédiée au hip-hop. Pourtant, le duo remplit les salles de concert et leur album est disque d'or. Une première pour un disque de rap indépendant.
Booba décide alors de tenter sa chance sans Ali. Mais en 2002, soupçonné d'avoir blessé par balle un garçon de 20 ans sur la parking VIP d'une boite de nuit, il retourne quatre mois en prison. L'année suivante ce sera deux semaines, pour vol de voiture. Tout cela ne l'empêche pas de sortir un tube. Son premier album solo, Temps mort, est lui aussi certifié disque d'or. Pour le second, il crée alors son propre label au sein de Barclay : Tallac Records (dans le dessin animé japonais Bouba, Tallac est le nom de la montagne sur laquelle vit le petit ourson). En 2003, La Nouvelle Revue Financière le compare à Louis-Ferdinand Céline. 🙄 Booba assure pourtant n'en avoir jamais ouvert un ouvrage.
Le clash est une figure imposée dans le hip-hop, qui consiste à ridiculiser ses ennemis de toutes les manières possibles. Le «duc de Boulogne» - humble surnom de Booba - en raffole 😂 : «La rap game, c'est la compétition entre rappeurs, ça existe depuis toujours. Aux débuts du rap français, ça existait déjà entre IAM et NTM, rappelle Booba. Rap et sport, ça va ensemble, il y a cette mentalité de vouloir gagner, cette mentalité des quartiers, c'est très tribal». (à l'AFP, le 11 avril 2015).
Pour son premier clash, Booba se fait les griffes sur Rohff, un rappeur français d'origine comorienne. Quand ils enregistrent un duo en 2001, leur deux egos sont déjà tellement exacerbés que le morceau est éjecté de l'album de Rohff. Depuis ce jour, ils sont rivaux. En 2008, inspiré par la guerre des charts entre Kanye West et 50 Cent, Booba sort son album presque au même moment que celui de Rohff. Mais personne ne réagit. Booba devra attendre août 2012 pour que Rohff lance les hostilités. À l'antenne de Skyrock, il traite B20 (surnom de Booba) de «Zoulette» (nom donné à une fille qui se la joue hip-hop). «T'as le swag à Laurent Voulzy» 😆, réplique celui-ci dans Wesh Morray. Aïe. Dans Wesh Zoulette Rohff ne tarde pas à répondre : «Puisque t'ouvres tes fesses, qui n'est pas tenté de t'sodomiser ? Dans tout ce rap game, seul Élie doit s'sentir visé». Quand il entend ça, Booba plisse ses yeux sous sa casquette et soulève sont 1.92 m dans un élan de rage. Il frappe dans ses grandes mains tatouées, faisant trembler ses pectoraux musclés. 💪
Les choses s'enveniment quand la Fouine s'en mêle, malgré lui, le 2 novembre 2012. Dans Paname Boss, le rappeur de Trappes balance : « J'entends ce clash sur toi partout sur les ondes mais comme un appel à la Mosquée, tu peux pas répondre !». La pique est destinée à un autre rappeur, Tunisiano, mais Booba la prend pour lui. Booba a rencontré La Fouine lors de sa première incarcération à Bois-d'Arcy quinze ans plus tôt. (interview de la Fouine sur YouTube). Depuis, ils se détestent. Malheureusement les deux rappeurs vivent tous les deux à Miami, et dans le même immeuble ! L'air marin de la Floride soufflera sur les braises de leur rivalité : Ils en viennent carrément aux mains en sortant d'une salle de gym en 2013. «À partir du moment où je suis en guerre, je ne lâche rien ! admet Booba aux Inrocks le 5/12/2015. Je suis Poutine, si tu descends mon avion, tu vas voir ce qui t'arrive. Mon seul défaut, c'est que je ne lâche jamais l'affaire. Tant que ce n'est pas fini, je continue». 🙄
Les vannes fusent comme des balles entre les trois rappeurs jusqu'au 21 avril 2014. Ce jour-là Rohff et son entourage saccagent la boutique de la marque Ünkut dans le quartier des Halles à Paris, et se battent avec des vendeurs. L'un d'entre eux, âgé de 19 ans, est grièvement blessé. Rohff l'a roué de coups de pied et laissé pour mort. «Le rap, ça reste un truc de banlieue et, comme dans la rue, ça peut déraper à tout moment», tente de minimiser Booba le 11 avril 2015, auprès de l'AFP. Certes, on est loin de la violence à coups de balles entre Tupac et Notorius B.I.G., mais en France, ce type de débordements est inédit chez les rappeurs. Filmé par les caméras de surveillance du magasin, Rohff se présentera lui-même à la police quelques jours plus tard, renvoyé devant le tribunal correctionnel de Paris pour violences aggravées, il fait quelques mois de préventive, avant d'être condamné à cinq ans de prison. (le 27 octobre 2017, il a fait appel). «J'aurais eu aucun problème qu'ils me tombent dessus à dix, mais qu'il aille dans mon magasin et passer à tabac un jeune de 19 ans et le laisser entre la vie et la mort, cela va loin, confie Booba en 2015. Moi je suis toujours prêt, je suis pas parano, mais je suis dans le slash si on me tombe dessus je ne peux qu'assumer.» (journal Le Parisien, 22 juin 2016)
Assumer, c'est justement ce qu'a oublié de faire le rappeur Kaaris, selon Booba : «Quand j'étais en clash avec Rohff et La Fouine, Kaaris n'est pas intervenu. Nous avions organisé une interview pour qu'il marque son soutien, mais il flippait. Ce mec, je l'ai fait, je l'ai modelé et il a refusé de se mouiller. Tout le monde le voit comme un caïd avec une Kalash, mais c'est un baltringue ! Si tu tapes du pied, il s'enfuit en courant». (les Inrocks, le 12 avril 2015).
Fin 2014, les deux rappeurs sont à leur tour en guerre ouverte. «J'vais t'enculer, J'vais briser tes os. J'vais boire ton sang !» 😱 dit Kaaris dans une vidéo tournée sur le toit d'un immeuble (www.youtube.com/watchv=zKSPIHJWkSQ). On a l'impression d'être en 6eme B. Sauf qu'un des élèves, qui vit à Miami, n'a aucune intention de ramener ses 102 kilos dans la cour du collège de Kaaris à Sevran...Booba a autre chose en tête : il s'apprête à lancer OKLM, son site web-télé-radio qui lui permettra de repérer de jeunes talents, pour ensuite les faire signer sur son label. «Je souhaite ouvrir une vraie plate-forme pour que la nouvelle génération ne soit pas confrontée aux problèmes que j'ai connus : la difficulté de signer en maison de disques, de passer en radio, etc. Sur OKLM, il n'y a pas de piston. Si tu es fort, on poste ta vidéo ou ton son. C'est méritocratique». (Les Inrocks, le 15 mars 2015.)
En 2016, le rap est le style de musique le plus écouté sur les plate-formes de streaming. Son business est florissant. Il a notamment harponné Damso, le rappeur le plus bankable du moment, et fait battre ses longs cils en direction de l'Afrique et ses pays aux taux de croissance de plus de 5%. Le chiffre d'affaires annuel d'Ünkut est de 10 millions d'euros. (Libération, le 24/11/2013) Et il vient de commercialiser D.U.C., une marque de whisky français. «Des rappeurs comme Jay-Z ou P.Diddy m'ont montré que c'était possible de lancer une marque de vêtements, de diversifier ses activités tout en continuant à faire du rap, remarque Booba. Mais OKLM n'a rien à voir avec le site que Jay-Z avait lancé. Son site était tout pourri et centré sur lui-même». (Les Inrocks, le 15/03/2015). Jay-Z, lui, n'a pas daigné répondre à sa provocation. Il ne l'a probablement même pas lue. Dommage, ce clash-là aurait fait un sacré buzz.
Aguerri, Booba s'attaque à Patrice Quarteton, un ex-champion du monde de muay-thaï (un genre de boxe ultraviolente). Le boxeur est un ami de Kaaris, or pour Booba, les amis de ses ennemis sont ses ennemis. En novembre 2016, le rappeur se moque d'une défaite de Quarteron face à Daniel Sam - en sept ans, il n'avait pas perdu un seul combat. Sur Instagram, le boxeur lui répond en qualifiant Patricia Vinces, la mer des enfants de Booba, de «Tchoin» (Après avoir répété en boucle le mot «pute» dans leurs couplets, les rappeurs ont fini par se lasser et lui préfèrent à présent le mot «tchoin», élégante alternative qui viendrait d'un argot ivoirien) Rompu à l'exercice, c'est en chanson que le rappeur tente de mettre le boxeur KO.
♪♫ Fais comme ces demoiselles / elles savent ce qu'on attend d'elles / Couche-toi / t'as le bonjour du KTM / J'ai pris le jet / l'A7 est embouteillée / Ta carrière de chien / Ne vaut même pas mon mobilier / ♪♫ - rappe-t-il en montant sur le ring - Premier coup droit - ♪♫ J'insulte pas les mères / sauf celle de Patrice Quarteron la tchoin / Daniel Sam t'a sodomisé / j'étais aux States, je roulais mon joint ♪. Bim. 💥 Plus de 12 millions de vues sur YouTube plus tard, le morceau Daniel Sam n'est pas un droit de réponse, c'est un tube !
Sur un plateau de télévision, en plein direct, Quarteron exhibe alors des photos imprimées de l'ultra-pulpeuse compagne de Booba. Prêt à en découdre, le duc de Boulogne rend les coups en partageant sur son compte Instagram (qu'il gère personnellement) des captures d'écrans de leurs échanges de textos, dans lesquels les deux hommes se donnent rendez-vous pour en venir aux mains.
En voici un extrait (fautes d'orthographe comprises) :
Booba : J'arrive bientôt je te transmettrai mon adresse comme ça tu pourras me montrer ce que tu vaux en vrai. J'espère que tu parleras pas le chinois à ce moment là mais vu que tu parles déjà pas français, jme fais pas de soucis. À bientôt nègre de maison. Cordialement. Le Duc....[emoji cercueil]
Quaterton : Ma duchesse je serai là sans aucun problème.
Booba : Courage. Et n'attire pas la police en postant ça.
Quaterton : Au faites viens de suite je t'attend à l'aéroport j insulte ta femme je tencule et vu que t'as une grande gueule et que t'as de l'oseille débarque demain.
Booba : Allez asse parlé flipette. Chez moi à nimporte quelle heure tu disais boloss.
Le combat se poursuit sur Internet. Combat inégal : Quaterton est un poids plume sur les réseaux sociaux: sa page Instagram compte 95 400 abonnés contre 2.1 millions pour Booba. Adepte de photoshop, Booba, poste des montages ridiculisant son nouveau rival. Il détourne notamment une publicité pour de la soupe Knorr montrant un Patrice Quarteron sans dents. La blague est likée plus de 43 000 fois. 💣
Établir une liste complète des rivaux de Booba serait bien long et fastidieux, tant l'originaire de Boulogne-Billancourt multiplie les antagonismes musicaux. Les rappeurs passent leur temps à se «clasher» afin de faire du «buzz» de manière virile (menaces, invectives, bagarres...) ; c'est leur manière à eux de promouvoir leur marchandise, en l'enrobant de testostérone fictive. Les majors se frottent les mains, chaque conflit fait recette et augmente les ventes. Mais les paliers dans la violence sont franchis. Les États-Unis, terre mère de la musique hip-hop, sont sources d'inspiration pour les rappeurs hexagonaux. Et de l'autre côté de l'atlantique, les deux mains ne suffisent plus à compter le nombre de rappeurs tués.
Le problème est que les ados se tournent en général vers le trash, ils pensent qu'ils vivent le même quotidien que celui décrit dans les morceaux de musique rap. Ils s'identifient aux textes, et ont l'impression que les textes du rap parlent d'eux. Puis, les caractères violents et agressifs du rap collent bien avec leur représentation particulière et symptomatique de la réalité. Pour les jeunes, le rap est la seule musique qui ose dénoncer la violence. Les autres musiques ignorent cela en optant pour des textes mièvres et idylliques. Le rappeur français trash est donc devenu, pour eux, un exemple. Même si certains morceaux et faits n'ont rien à voir avec le quotidien des ados. Ça les fascine. Ils rêvent de leur vie, car la plupart des rappeurs sont partis de rien et c'est là une raison pour les jeunes de s'identifier à eux. Lorsqu'ils voient les voitures, les maisons, les filles, le succès de tous ce qui peut être représenté dans les clips, ils s'imaginent qu'ils peuvent réussir dans la vie en faisant comme eux.
Plusieurs fois mis en cause pour ses textes, Booba ne cesse de répéter qu'il n'écrit pas pour les enfants et que c'est aux parents de surveiller ce que regarde et écoute leur progéniture sur Internet.
En 2019, Booba s'est attaqué aux radios généralistes françaises et à leur traitement du rap. En effet, s'il y a bien un rappeur qui n'est jamais ou très rarement passé sur ce genre de radios, c'est bien Booba, et ce dernier tenait à le faire savoir.
Les grands médias, comme énormément d'autres personnes, ont beaucoup de mépris pour le Rap gangsta comme celui de Booba, qui met en avant la violence et réduit les femmes à des objets sexuels.
En effet, la plupart des jeunes s'instruisent, s'éduquent en partie à travers les textes des rappeurs qui dans leurs clips et chansons banalisent la violence, la drogue, l'alcool ou encore le sexe.
En résumé, dire que le rap game Français actuel à une mauvaise influence sur les jeunes n'est pas un euphémisme. Incitation à la violence, banalisation de comportement sexistes, de crimes tels que le viol, utilisation de vocabulaire vulgaire...
Comme dans le cinéma ou la littérature, il existe un rap émérite et un rap piteux, pauvre lexicalement. Cela fut le cas aussi pour le rock, le punk ou même le jazz à leurs débuts.
Printemps 1992, il sort sa première grande chanson d'amour. Et alors on se dit qu'elle avait beaucoup de chance, Caroline !
♪♫ Claude MC prend le microphone genre "love story" raggamuffin / Pour te parler d'un amie qu'on appelle Caroline / Elle était ma dame, elle était ma came / Elle était ma vitamine / Elle était ma drogue, ma dope, ma coke, mon crack, mon amphétamine, Caroline / C'est qu'je suis l'as de trèfle qui pique ton coeur/ L'as de trèfle qui pique ton coeur, Caroline ♪♫
Le rap de 2025 sera peut-être fait de rappeurs qui reviennent aux bases, aux fondements, à la technique pure, à l'écriture soignée et à l'autodérision ? «Les temps changent» comme le rappait brillamment MC Solaar en 1997 : ♪♫ J'te parle du temps du salut dans la rue / De la simplicité mais ça n'existe plus / Sans blague ! les gens s'affichent comme des tags / On drague même avec un phone portable ♪♫
Rimes et Assonances, allitérations, métaphores et autres figures de style, références culturelles, etc. Le style de Solaar - musical et poétique - était et demeure, par bien des aspects, unique. Une autre excellence, la notoriété glisse sur lui comme la pluie sur un K-Way. Son secret ? Le décalage. En somme tout ce qui manque au «rap actuel».
Absent pendant dix ans, celui qui voulait que la vie d'autrui soit comme une poésie, Solaar, est réapparu en 2017 avec pas moins de dix-neuf titres.
Le soleil est de retour sur le rap français, Claude MC, le pionnier de la prose-combat made in France, l'as de trèfle qui piquait nos coeurs, l'homme qui a semé le tempo du genre au début des années 90, a mis en pratique l'un des refrains qui a fait son succès : Bouge de là ! Résultat, un nouvel album baptisé Géopoétique, huitième d'une carrière volontairement interrompue pendant une décennie, 19 titres dans lesquels on retrouve la griffe de l'érudit : Flow élastique, textes denses avec leur ration d'allitérations, humour pince sans rime, arrangements cette fois mâtinés de funk, d'électro ou de musique classique, bref, tout ce qui a fait la crème Solaar.
Un artiste né en 1969, lorsqu'il fait une pause de dix ans avant d'initier un comeback, prend le risque d'atterrir sur une nouvelle planète. Les temps numériques que nous vivons reconfigurent notre paysage tous les semestres. Le moindre retrait se paye souvent très cher. MC Solaar n'en a que faire : le présent est son unique souci.
A 48 ans, Il délivre le sonotone en ces termes : ♪♫ j'ai des rides et des poches sous les yeux / Les cheveux poivre et sel et l'arthrose m'en veut ♫♪. Ces deux vers suffisent pour donner le climat de son nouvel album. Ils le raccrochent à son oeuvre antérieure avec une finesse exemplaire.
Le swing français de MC Solaar oscille entre l'octosyllabe et le décasyllabe afin de chambrer cette langue qui, dans le chant, ne gueule qu'à la condition qu'on tende l'oreille. En matière de révoltes et d'esthétique, seules les correspondances cinesthésiques traduisent et le monde et nous-mêmes. A-t-on besoin de donner des leçons au monde lorsqu'on témoigne de soi-même ? Bien sur que non. L'universalité de MC Solaar réside là. MC Solaar ? Les autres rappeurs ont des bagues papales ou de mafieux. Mais il n'aime pas le clinquant. Il ne veut être l'attrape-nigaud de personne. Il a juré fidélité à lui-même. Il dénonce à sa manière «La misère du monde». Un musicien de son rang le fait toujours sur le mode mineur. Ainsi atteint-il l'efficacité majeure.